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"Céleste, ma planète" Un univers romanesque, métaphore de nos sociétés et des destructions causées par l'homme

Deux outils sont à l'œuvre pour nous raconter l'épopée de Céleste, ma planète. L'un est la scénographie, la vidéo, le graphisme et le son qui plongent les héros de cette histoire dans un univers futuriste, dystopie infernale où le monde vertical des gratte-ciel tente d'échapper aux fumées toxiques qui finissent d'achever la planète. Pour l'autre, ce sont les comédiens qui incarnent les différents personnages, le jeu et la narration. Deux univers qui s'emboîtent jusqu'à s'interpénétrer et réussir à faire respirer cette histoire sombre mais illuminée par l'espoir, la jeunesse et l'amour.



© Emilia Stéfani-Law.
© Emilia Stéfani-Law.
L'amour, il en est aussitôt question dans la bouche de l'adolescent de 14 ans (incarné par Hugues De la Salle) qui va être le narrateur de sa propre histoire. Cet amour qu'il déclare avoir banni de son cœur depuis des années - pour s'épargner les déceptions - jusqu'au jour où Céleste apparaît dans sa classe… pour disparaître le lendemain. S'engage alors une quête, une enquête, puis une course-poursuite au travers de la ville verticale de verre, de béton et d'écrans où il habite, au 300e étage d'une des innombrables tours.

Voilà le canevas que l'auteur Timothée de Fombelle utilise pour interroger différents aspects de notre monde : la solitude de la multitude des grandes cités, le délaissement des enfants causé par la pression du travail, la valeur de l'amitié, la quête d'idéal, les sentiments qui vous dépassent et surtout vous font vous dépasser, la folie destructrice de la pollution due aux entreprises d'énergie fossile et, finalement, ce passage toujours en questionnement de l'enfance à l'adulte. Mais le seul réalisme futuriste ne gouverne pas tout le texte du spectacle. Au travers des différents chapitres de cette course-poursuite, palpitent la poésie de l'innocence et les changements possibles.

© Emilia Stéfani-Law.
© Emilia Stéfani-Law.
Car, comme dans tous bons policiers, il y a les bons (nos deux héros et leurs amis de fortune) et les méchants (les dirigeants des ultra-entreprises dont fait partie la mère du narrateur)… Et même si ce schéma paraît un petit trop binaire, la plume de l'auteur et l'inventivité du dispositif scénique ainsi que la mise en scène ne l'utilisent que pour explorer le sensible le touchant.

Le dispositif s'appuie sur des vidéos de graphismes bédés projetés sur un écran articulé qui donne à la fois l'illusion d'un immense livre que l'on déploie et l'illusion 3D. C'est une manière habile d'échapper au réalisme et de nous plonger dans l'univers romanesque qui devient métaphore de nos sociétés et des dévastations causées par l'homme sur la planète. Mais, à la fin, l'intelligence triomphe sur l'appât du gain.

La belle mise en scène de Didier Ruiz donne vie à cette histoire narrative par l'intervention régulière de scénettes entre les personnages (on en voudrait plus) et par l'inventivité des vidéos et de la bande-son. Des trois comédiens, il faut saluer la virtuosité de Mathieu Dion qui se glisse dans la peau d'une dizaine de personnages avec un engagement talentueux extrême. Les enfants et les adultes sortent de la salle, enrichis par les messages à la fois sombres et à la fois pleins d'espoirs que diffuse ce spectacle.

"Céleste, ma planète"

© Emilia Stéfani-Law.
© Emilia Stéfani-Law.
D'après "Céleste, ma planète" de Timothée de Fombelle aux Éditions Gallimard Jeunesse.
Mise en scène et adaptation : Didier Ruiz.
Avec : Delphine Lacheteau, Hugues De la Salle et Mathieu Dion.
Dramaturgie : Olivia Burton.
Scénographie : Emmanuelle Debeusscher.
Vidéo : Zita Cochet.
Créateur lumière : Maurice Fouilhé.
Création son : Adrien Cordier.
Images animées : Lucien Aschehoug, Aurore Fénié.
Costumes : Marjolaine Mansot.
Coach vocal : Myriam Assouline.
Régie : Jérôme Moisson.
Production La compagnie des Hommes.
À partir de 9 ans.
Durée : 1 h.

© Emilia Stéfani-Law.
© Emilia Stéfani-Law.
8 au 22 décembre 2022.
Samedis 10 et 17 à 18 h, dimanches 11 et 18 à 16 h, mardi 20 à 15 h, mercredi 14 à 15 h, mercredi 21 à 15 h et à 19 h, jeudi 22 à 19 h.
Scolaires : jeudi 8 à 14 h 30, vendredis 9 et 16 à 10 h, lundi 12 à 10 h et à 14 h 30, mercredi 14 à 10 h, jeudi 15 à 10 h et 14 h 30.
Théâtre Dunois, Paris 13e, 01 45 84 72 00.
>> theatredunois.org

Tournée
13 janvier 2023 : Théâtre André Malraux, Chevilly-Larue (94).
21 et 24 avril 2023 : MAIF Social Club, Paris 3e.
24 mai 2023 : Théâtre Traversière, Paris 12e.

Bruno Fougniès
Jeudi 15 Décembre 2022

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

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Brigitte Corrigou
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"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

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"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

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Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023