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"La Grâce de la Tortue" Une seule en scène d'une justesse émouvante, à la portée universelle

Tita est une petite fille, puis deviendra une femme très complexée, mais aussi rebelle, cherchant par tous les moyens à se décomplexer et à se décomplexifier. Depuis l'enfance, elle voudrait ressembler à tout ce qu'elle n'est pas, se pose des questions sur tout et elle réfléchit !



© Frédéric Labrouche.
© Frédéric Labrouche.
Comment faire pour croire au Père-Noël ? Comment faire pour devenir comédienne quand on a une "tronche impossible" ? Comment faire pour trouver sa place quand on naît dans une famille juive d'Afrique du Nord, qu'on rêve d'être comme tout le monde et de laisser ses origines au placard ? Comment négocier avec ses différences et son identité ?

Bien sûr, les thèmes abordés dans ce seule en scène, interprétée par Anne Touati, ont déjà été maintes fois traités : le déracinement, les origines, le physique, la construction de soi, âpre souvent quand tout semble bancal et différent pour soi. Les spectacles de théâtre sont pléthore à ce titre, notamment depuis ce fichu covid qui a revisité notre place sur la planète, notre rapport à nous-mêmes ou, encore, notre regard sur les autres…

Alors, pourquoi faire à nouveau ce choix aux connotations très contemporaines, au risque de ressasser des propos déjà évoqués ? Surtout quand il s'agit là d'une dimension autobiographique, dans laquelle les prises de risque sont encore plus grandes ! Ne pas poser la question à la principale intéressée, c'est laisser la porte ouverte à de nombreuses réponses possibles. Ou pas !

© Frédéric Labrouche.
© Frédéric Labrouche.
"La Grâce de la Tortue" est une auto-fiction humoristiquement tendre, amère, parfois mélancolique et souvent très émouvante, dans laquelle le public se reconnaîtra certainement à différents égards.

Anne Touati y partage différents rôles avec aisance et fluidité en incarnant tour à tour sa propre mère, juive ashkénaze d'Afrique du Nord, très soucieuse de l'avenir de sa fille, Tita, elle-même, qui tente de se libérer de ce joug maternel incontournable, ainsi qu'une galerie de personnages qu'elle interprète brillamment, tout en finesse de jeu et d'incarnation : le docteur de famille, grand réceptacle des angoisses de sa mère, son père qui vendrait ses chemises pour ses filles, Gaëtan, l'amoureux qui s'endort quand il a quelque chose d'important à lui dire, sa metteuse en scène, sans oublier bien sûr la psychanalyste de Tita.

C'est d'ailleurs dans son cabinet que s'ouvre le spectacle, et il s'agit là d'un choix dramaturgique tout à fait pertinent, qui séduit d'emblée le spectateur grâce au jeu sensible et investi de la comédienne, et à un humour tout en filigrane fort bien dosé.

Tout au long du spectacle, sa gestuelle proche de la pantomime, appuyée par un phrasé haché et comme martelé à l'excès, un visage "particulier" aux yeux bruns proéminents et à la bouche démesurée, font de Tita un clown au nez rouge attendrissant.

La féminité n'est pas au centre du propos, en revanche. Gageons qu'une petite dose supplémentaire accordée à cette dernière pourrait apporter un supplément "d'âme artistique" au propos, laquelle élèverait encore davantage l'ensemble de ce seule-en-scène joliment pensé et élaboré. Même si, à bien y regarder, le cœur de la pièce n'est pas là.

Tout au long du spectacle, tout "ce petit monde de la vie d'Anne-Tita" est brossé avec subtilité et les différentes scènes s'enchaînent sans aucun artifice scénographique, mais avec une grande poésie dans le choix des jeux des lumières, des trois vidéos et, notamment, via un dispositif de quatre panneaux mobiles harmonieusement décorés symbolisant peut-être les tiroirs de nos vies, ou les portes qu'il nous faut souvent ouvrir pour comprendre qui on est… Qui s'ouvrent toutes seules, parfois, ou, au contraire, plus récalcitrantes, qui refusent de rester à leur place !

Si la légende de la tortue est celle d'une pierre qui a décidé, un jour, de se mettre en marche, laissons-la poursuivre avec grâce son chemin aux côtés de Tita. Tita qui est myope, mais qui bizarrement voit pourtant les choses de façon fort clairvoyante ! Toutes deux, elles continueront à avancer, pour continuer à ne pas rater leur vie.
Si ce n'est pas déjà fait…
◙ Brigitte Corrigou

"La Grâce de la Tortue ou comment je n'ai pas réussi à râter ma vie"

© Frédéric Labrouche.
© Frédéric Labrouche.
Texte : Anne Touati.
Mise en scène : Laurence Labrouche.
Avec : Anne Touati.
Scénographie et lumières : Henri-Emmanel Doublier.
Création musiques et sons : Gilles Cadoret.
Vidéos d'ambiance : Christophe Salles.
Vidéos scènes : Miriam Chamekh.
Costumes : Edwige Latrille.
Création visuel de la tortue : Marc Cogno.
Graphisme décors : Martin Doublier.
Régie lumière, son et vidéo : Igor Galabovski.
Voix : Marie Laure Despessailles.
Spectacle tout public à partir de 10 ans.
Durée : 1 h 25.

Du 18 au 22 février 2025.
Tous les jours à 20 h.
Le 100ECS (Établissement Culturel Solidaire), Paris 12ᵉ, 01 46 28 80 94.
>> 100ecs.fr

Brigitte Corrigou
Vendredi 7 Février 2025

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