La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"Caída del Cielo"… Corps à cœur

"Caída del Cielo", Théâtre national de Chaillot, Paris

La jeune artiste Rocío Molina déploie un spectre corporel dans toute sa plénitude en bousculant les codes du flamenco. Accompagnée de percussions, d'une guitare électrique et de palmas, la danseuse-chorégraphe plonge le flamenco dans sa modernité et ses traditions ; et fait du corps, un cœur à prendre.



© Pablo Guidali.
© Pablo Guidali.
Guitare électrique et batterie démarrent le spectacle pendant quelques minutes. Puis un long silence apparaît durant lequel Rocío Molina, habillée dans une robe blanche avec une longue traîne, fait des mouvements au ralenti, presque à l'arrêt. Pieds nus, son corps glisse sur la scène faisant une gestuelle arrondie avec une position du tronc savamment bien dosée avec la robe. L'entrée en matière est délicate, élégante et bien apprêtée en totale dysharmonie avec le tempo précédent. Celui-ci oscille, durant tout le spectacle, entre une sonorité vive et intensive, et un rythme comme suspendu au temps.

Le corps est très présent. Il se montre, s'entend et se voit. Molina l'utilise comme un instrument artistique. Il se suffit à lui-même en investissant un pré carré de mouvements où ceux-ci peuvent être à l'arrêt. La posture, au sens noble et artistique du terme, participe à cette "plénitude". Des postures, le flamenco en possède qui veut que le corps soit roi et théâtral. Pour autant, il n'est pas montré comme une beauté en soi. Il est beau car il est en mouvement.

Là, Molina le fixe dans son essence, pour ce qu'il est, repoussant les limites corporelles au-delà des palmas (1), des zapatéos (2) et des taconeos (3). Les genoux sont aussi de la chorégraphie. Ce n'est plus le talon qui tape le sol mais également ceux-ci comme lors d'un saut bousculant ainsi l'appréhension que nous pouvons avoir du corps et de ses articulations. Merci aux genouillères.

© Pablo Guidali.
© Pablo Guidali.
La nudité corporelle n'a pas franchi le mur de l'impudeur. Molina cache, avec ses mains, ses parties intimes pour, une fois son costume mis, retrouver tout son aplomb et sa superbe, son insolence, sa beauté. Le corps devient important dans toutes ses parties. Aucune ne devient fixe. Tout aussi bien que les talons, les mains et les bras qui sont les outils maîtres du flamenco, les jambes, les doigts dans leurs claquements et le tronc participent grandement aux chorégraphies donnant une présence certaine de l'artiste sur scène.

Le corps devient beau à regarder pour ce qu'il est. Il est incarné autant dans son immobilité que dans ses attitudes et ses mouvements. Le tout est lié. En cela, Molina bouscule les codes du flamenco faisant de cette danse aux contours mouvants et rythmés une nouvelle combinaison dans laquelle la fixité et le ralenti deviennent les deux versants d'une appréhension artistique où le regard se fait complice d'un corps qui est autant à voir qu'à entendre.

Les taconeos sont rapides avec un tapotement des talons sur le sol, petits et vifs. Molina amène ses jambes en l'air, en abandonnant ceux-ci, et en glissant tout du long sur la scène pour créer une chorégraphie avec ses jambes, comme une revendication corporelle de tout le corps et établir une harmonie flamenca entre membres inférieurs et supérieurs où le tronc devient l'axe central d'un corps devenant autant silencieux, sonore qu'expressif.

Le compás (4) accompagne la danseuse avec les palmas de Oruco. Ceux-ci sont très présents car la musique n'accompagne pas toujours les solos de Rocío Molina. Les danses oscillent autour de la musique rock et du silence qui suit, des taconeos à ses zapatéos, des talons sur le sol aux jambes coulissant dans les airs… De cette longue robe blanche qui habille, dans un silence de grâce, la danseuse à cette autre trempée d'encre qui la découvre, de cette nudité qui l'enveloppe à ce costume qui la vêt.

Ces antinomies participent à créer un accent artistique dans lequel la musique et le corps se marient au calme et à l'intensité des mouvements, comme une rencontre entre le soleil du flamenco et son ombre.

(1) Claquement des mains pour créer le rythme sur un chant et/ou une danse flamenca.
(2) Claquement de pieds nus au sol.
(3) Claquement des talons au sol suivant un compás.
(4) Schéma rythmique propre à chaque chant et danse.

"Caída del Cielo"

© Pablo Guidali.
© Pablo Guidali.
Co-direction artistique, chorégraphie et direction musicale : Rocío Molina.
Co-direction artistique, dramaturgie, mise en scène et création lumière : Carlos Marquerie.
Avec : Rocío Molina (danse), José Ángel Carmona (chant), Pablo Martín Jones (percussions, musique électronique), José Manuel Ramos "Oruco" (palmas), Eduardo Trassierra (guitare).
Musique originale : Eduardo Trassierra en collaboration avec José Ángel Carmona, José Manuel Ramos "Oruco", Pablo Martín Jones.
Aide à la relation au sol : Elena.
Costumes : Cecilia Molano.
Réalisation des costumes : López de Santos, Maty, Rafael Solis.
Direction technique, lumière : Antonio Serrano.
Son : Javier Álvarez.
Régie plateau : Reyes Pipio.
Assistanat à la production : Magdalena Escoriza.
Direction exécutive : Loïc Bastos.
Durée : 1 h 20.

Du 3 au 11 novembre 2016.
Mardi, mercredi, vendredi, samedi, à 20 h 30, jeudi à 19 h 30 dimanche à 15 h 30.
Théâtre national de Chaillot, Salle Jean Vilar, Paris 16e, 01 53 65 30 00.
>> theatre-chaillot.fr

Safidin Alouache
Mercredi 9 Novembre 2016

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"Bienvenue Ailleurs" Faire sécession avec un monde à l'agonie pour tenter d'imaginer de nouveaux possibles

Sara a 16 ans… Une adolescente sur une planète bleue peuplée d’une humanité dont la grande majorité est sourde à entendre l’agonie annoncée, voire amorcée diront les plus lucides. Une ado sur le chemin de la prise de conscience et de la mutation, du passage du conflit générationnel… à l'écologie radicale. Aurélie Namur nous parle, dans "Bienvenue ailleurs", de rupture, de renversement, d'une jeunesse qui ne veut pas s'émanciper, mais rompre radicalement avec notre monde usé et dépassé… Le nouvel espoir d'une jeunesse inspirée ?

© PKL.
Sara a donc 16 ans lorsqu'elle découvre les images des incendies apocalyptiques qui embrasent l'Australie en 2020 (dont l'île Kangourou) qui blessent, brûlent, tuent kangourous et koalas. Images traumatiques qui vont déclencher les premiers regards critiques, les premières révoltes générées par les crimes humains sur l'environnement, sans évocation pour elle d'échelle de gravité, cela allant du rejet de solvant dans les rivières par Pimkie, de la pêche destructrice des bébés thons en passant de l'usage de terres rares (et les conséquences de leur extraction) dans les calculettes, les smartphones et bien d'autres actes criminels contre la planète et ses habitants non-humains.

Puisant ici son sujet dans les questionnements et problèmes écologiques actuels ou récurrents depuis de nombreuses années, Aurélie Namur explore le parcours de la révolte légitime d’une adolescente, dont les constats et leur expression suggèrent une violence sous-jacente réelle, puissante, et une cruelle lucidité, toutes deux fondées sur une rupture avec la société qui s'obstine à ne pas réagir de manière réellement efficace face au réchauffement climatique, à l'usure inconsidérée – et exclusivement humaine – de la planète, à la perte de confiance dans les hommes politiques, etc.

Composée de trois fragments ("Revoir les kangourous", "Dézinguée" et "Qui la connaît, cette vie qu'on mène ?") et d'un interlude** – permettant à la jeunesse de prendre corps "dansant" –, la pièce d'Aurélie Namur s'articule autour d'une trajectoire singulière, celle d'une jeune fille, quittant le foyer familial pour, petit à petit, s'orienter vers l'écologie radicale, et de son absence sur le plateau, le récit étant porté par Camila, sa mère, puis par Aimé, son amour, et, enfin, par Pauline, son amie. Venant compléter ce trio narrateur, le musicien Sergio Perera et sa narration instrumentale.

Gil Chauveau
10/12/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024