La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Concerts

Bruits de guerre : Saint-Simon en campagne aux Invalides

La saison musicale des Invalides (et son cycle "Confidences et complaintes de soldats") s'est ouverte Salle Turenne à l'Hôtel national des Invalides avec un spectacle conçu par le claveciniste Olivier Baumont et consacré à la musique qu'a pu connaître l'officier Saint-Simon durant sa carrière de soldat. L'auteur des fameux "Mémoires", devenu duc et pair de France à la mort de son père en 1693, servit en effet Louis XIV de 1691 à 1702.



© DR.
© DR.
Olivier Baumont n'est pas seulement un des plus grands clavecinistes français, il est aussi un chercheur et un écrivain doué, auteur de plusieurs ouvrages dont un consacré à la musique dans les "Mémoires" de Saint-Simon (1). Émaillé d'extraits de ces mémoires couvrant sa période militaire lus avec gourmandise par le comédien Denis Podalydès, le concert offrait un aperçu d'œuvres de compositeurs français des XVIIe et XVIIIe siècles composées en temps de guerre et de paix. Ces "Bruits de guerre" (2) et autres airs "militaires" pour clavecin ou petite formation orchestrale forment un répertoire quelque peu oublié aujourd'hui - cependant très en vogue à l'époque baroque.

Le sociétaire de la Comédie-Française ouvre le spectacle (et le terminera) par le rappel des derniers mots solennels de Louis XIV à son arrière petit-fils, le dauphin (3) rappelant les vertus de la paix ; ultime conseil aux portes de l'éternité d'un roi guerrier. Accompagné des violons volubiles de Julien Chauvin et Tami Troman, de la viole d'Atsushi Sakaï (quelque peu imprécise au début), le clavecin d'Olivier Baumont réalise la basse continue du "Bruit d'armes" du Prologue de l'acte cinq de "David et Jonathas" de Marc-Antoine Charpentier (1688). C'est le premier exemple brillant de la soirée de cette musique imitative des instruments d'une marche à la guerre : trompettes, timbales, tambours et hautbois.

Olivier Baumont © DR.
Olivier Baumont © DR.
Puis Denis Podalydès lit le rappel que fait Saint-Simon (alors Vidame de Chartres) des circonstances de son entrée - grâce à son père - dans l'un des deux régiments de Mousquetaires en 1691. Rappel suivi de la "Marche des Mousquetaires gris" pour clavecin de Michel Corrette, extraite du Livre VIII des "Amusements du Parnasse" (1772).

La carrière de Saint-Simon s'égrène précisément avec ses mots mis en musique : 1692, il participe au siège de Namur en 1692 puis à la Bataille de Steinkerque - bataille qui donne lieu à une sonate de François Couperin ("ordinaire de la musique du roi" et "Maître de clavecin des Enfants de France") avec ses parties notées "Gayement" ou "Mouvement des Fanfares". Olivier Baumont s'y montre à la hauteur de celui qu'on appela "Couperin le Grand", en virtuose imaginatif de l'instrument.

Les dates défilent, restituant les aléas de la vie militaire, des combats de l'Armée des Flandres et de ses maréchaux, que raconte avec esprit Saint-Simon jusqu'à sa démission en 1702 - fâché de n'avoir pas été reconnu selon lui à sa juste valeur par le Roi-Soleil - puisqu'une promotion décisive lui échappe. Les plaisantes figurations sonores telles la "Boute-selle" (4), "La Charge" ou encore l'"Allégresse des Vainqueurs" animent tant "La Triomphante" du même Couperin que "Les Caractères de la Guerre" (1718) de Jean-François Dandrieu, organiste de la Chapelle Royale.

Denis Podalydès © Christophe Raynaud de-Lage/coll Comédie-Francaise.
Denis Podalydès © Christophe Raynaud de-Lage/coll Comédie-Francaise.
"Les Caractères de la Paix" de Pierre-Claude Foucquet (1751) concluent avec brio un spectacle passionnant qui vient rappeler ce que l'on sait peu : la richesse de la carrière de soldat du Duc de Saint-Simon comme celle des œuvres de salon écrites en écho aux brillants bruits d'armes louis-quatorziens.

(1) Olivier Baumont est l'auteur notamment de "À l'Opéra, Monsieur ! La musique dans les "Mémoires" de Saint-Simon" (L'Infini Gallimard, 2015) et "La Musique à Versailles" (Actes Sud, 2007).
(2) Le "Bruit de guerre" est ce moment où tous les instruments doivent sonner ensemble pendant une marche militaire pour effrayer l'ennemi.
(3) Le 26 août 1715, Louis XIV sur son lit d'agonie déclare au Dauphin : "Mon cher enfant, vous allez être le plus grand roi du monde, n'oubliez jamais les obligations que vous avez à Dieu. Ne m'imitez pas dans les guerres ; tâchez de maintenir toujours la paix avec vos voisins, de soulager votre peuple autant que vous pourrez …". Il meurt le premier septembre.
(4) La "Boutte-selle" est le signal à la trompette pour seller les chevaux et mettre en marche l'armée, ici imité par l'orchestre.


Cycle "Confidences et complaintes de soldats".
Du 13 octobre 2017 au 28 janvier 2018.

Programme complet :
>> musee-armee.fr

Christine Ducq
Mercredi 1 Novembre 2017

Concerts | Lyrique


Brèves & Com


Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Hedwig and the Angry inch" Quand l'ingratitude de la vie œuvre en silence et brise les rêves et le talent pourtant si légitimes

La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023