La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Lyrique

Benjamin Bernheim, le héraut du chant français

Rencontre avec le nouveau Rodolfo à l'Opéra Bastille dès le 18 décembre. Le ténor qui brille dans des répertoires très différents (italien, allemand et russe) est avant tout un défenseur de la langue et du chant français.



© Richard Boll.
© Richard Boll.
Affable et détendu, Benjamin Bernheim nous accueille dans une de ces loges modernes et sans beaucoup d'âme destinée aux interviews à l'Opéra Bastille. En dépit d'un lundi froid et gris, le ténor entretient par ses propos résolus la flamme du chant idéal. Le public français n'a pas oublié sa superbe incarnation de Flamand dans le "Capriccio" de Robert Carsen (qui ne l'était pas moins) à Paris en 2015. Depuis, la carrière solo du chanteur s'est envolée après les années de troupe à l'Opéra de Zurich, et il s'impose désormais sur toutes les scènes.

Outre le rôle de Rodolfo dans "La Bohème" qu'il chante à partir du 18 décembre à Paris, et qu'il reprendra au Royal Opera House à Covent Garden en juillet 2018, il a de nombreux projets et sera notamment le Faust de Charles Gounod au Lyric Opera de Chicago, sans oublier Nemorino dans Donizetti au Staatsoper de Vienne. Pas moins de trois concerts sont par ailleurs prévus en France (à Paris et à Bordeaux), qui viendront couronner la réputation du ténor lyrique au timbre admirable.

Christine Ducq - Benjamin Bernheim, êtes-vous un ténor suisse, français ou franco-suisse ?

Benjamin Bernheim - Je suis né à Paris et j'ai grandi entre Paris et Genève dans une famille française. Je réside à Zurich depuis mes années de troupe. Donc vous pouvez écrire que je suis français ou franco-suisse. Le français est ma langue et je suis proche avant tout de cette culture française.

© Richard Boll.
© Richard Boll.
Vous allez reprendre le rôle de Rodolfo que vous chantez depuis 2015. Votre approche de celui-ci a-t-elle évolué ?

Benjamin Bernheim - Rodolfo est aujourd'hui pour moi mon meilleur ambassadeur auprès du public. Il me permet de montrer toutes les couleurs de ma voix sur scène - du pianissimo au mezza di voce. C'est même le seul qui me permette de le faire autant. Je peux et je veux défendre toutes les facettes de ce jeune premier romantique.

J'ai chanté depuis 2015 dans quatre productions de "La Bohème" dont trois étaient nouvelles. Parmi celles-ci, je pense à celle dans laquelle je viens de chanter à Londres dans la production de Richard Jones ou à celle de Claus Guth ici, à Paris. C'est une chance de pouvoir bénéficier de nombreuses répétitions et de participer pleinement au processus créatif.
Évidemment, les choses ont changé depuis que je l'ai chanté pour la première fois à Zurich. Aujourd'hui ont disparu l'angoisse de ne rien oublier des particularités de la partition, la peur de ne pas être à la hauteur des attentes du public.

Quand je chante un rôle pour la sixième fois, il m'habite et fait partie de mon corps. Mon plaisir est de fait de plus en plus intense et je me sens libre de prendre davantage de risques chaque soir.

Benjamin Bernheim à La Scala de Milan © DR.
Benjamin Bernheim à La Scala de Milan © DR.
Vous vous sentez à votre aise dans l'art puccinien du "parlar cantando" ? (1)

Benjamin Bernheim - En effet. Dans "La Bohème", nous assistons à un dialogue, qui ne relève pas de l'habituelle succession de récitatifs et de cabalettes de l'opéra italien. Entre les quatre amis intimes, qui n'ont pas besoin de se parler pour se comprendre, la discussion semble des plus naturelles. Il est évidemment deux ou trois passages particuliers, tels que Puccini les a écrits : le fameux air de l'acte I ("Che gelida manina") qui demande beaucoup de flexibilité et de couleurs ; au deuxième acte beaucoup plus vivant dominent les petites phrases. Le troisième acte est le plus difficile vocalement et le rôle de Rodolfo lorgne vers des personnages plus lourds à chanter, tels Caravadossi ("Tosca") et Pinkerton ("Madame Butterfly"). La ligne vocale demande alors force et puissance. De ce point de vue le quatrième acte est plus léger en terme de vocalité.

Depuis trois ans, j'ai en tout cas pris du recul et j'espère en restituer quelque chose de plus personnel avec les possibilités qu'offre ma voix. Et chaque distribution est une nouvelle aventure.

J'ai connu quatre Mimi aux voix très différentes, ce qui m'a permis d'évoluer. Avec Nicole Car, ma Mimi londonienne et parisienne, nous nous entendons parfaitement et nos voix s'harmonisent merveilleusement bien.

"La Bohème" © Bernd Uhlig/OnP.
"La Bohème" © Bernd Uhlig/OnP.
Dans la production parisienne de Claus Guth (très polémique), avez-vous l'occasion de partager votre conception du rôle ou êtes-vous obligé de vous couler entièrement dans sa vision ?

Benjamin Bernheim - Les deux, je pense. Claus Guth nous a demandé dès la première répétition une "Bohème" conceptuelle, transposant largement la narration écrite du livret. Sa lecture présente plusieurs niveaux et il nous a conseillé de voir le "Solaris" de Steven Soderbergh. Dans sa mise en scène, se retrouvent les thèmes de la solitude, de l'angoisse et du manque qui adviennent après plusieurs mois de voyage spatial.

C'est bien ce que l'on voit dans sa "Bohème" : quatre amis ayant perdu tout contact avec la terre et sa gravité, avec la réalité vont être hantés par leurs souvenirs. Des souvenirs de leur jeunesse qu'ils aimeraient modifier, tel Rodolfo avec son amour perdu. Il devient fou, il a des visions, il est hanté, mais il ne peut changer le passé. C'est une vision très poétique. Bien que je comprenne que cette lecture soit un peu ardue pour le public, je trouve que la musique se marie très bien avec ces images qui nourrissent notre imaginaire - celui de l'espace.

N'est-ce pas inconfortable de chanter en combinaison d'astronaute au quatrième acte ?

Benjamin Bernheim - Cette production est très confortable vocalement. Les décors permettent à la voix d'être très bien projetée, et ce, dans une des plus grandes salles au monde. C'est pour nous très agréable de chanter souvent à l'avant-scène (surtout au troisième et quatrième tableau). Claus Guth respecte énormément notre travail. Honnêtement, j'ai participé à de nombreuses productions et j'ai vécu bien pire que de devoir chanter en combinaison de spationaute !

Pourquoi avez-vous fait le choix d'un répertoire uniquement français pour vos récitals à venir ?

Benjamin Bernheim - Il me semble que ce répertoire est celui dans lequel j'ai le plus à apporter. Bien plus que dans une énième "Donna e mobile" ("Rigoletto") ou une énième "Una furtiva lagrima" ("L'élixir d'amour"), qu'on a entendus dix mille fois.

© Richard Boll.
© Richard Boll.
Je me place dans le sillage de Roberto Alagna, qui a révolutionné la façon de chanter le répertoire français en termes de diction ces dernières années. Je veux explorer les rôles de jeunes premiers romantiques français (2) en ayant en tête ses performances d'une grande modernité et intelligence. En tant que chanteur de langue française, je voudrais ajouter ma pierre à cet édifice.

(1) Le "parlar cantando" est ce chant issu du récitatif mêlé à la grande phrase lyrique du bel canto.
(2) Outre le "Faust" à Chicago, Benjamin Bernheim participe en 2018 à un Gala Gounod sur les ondes de Radio France. À l'Opéra de Bordeaux (18 janvier 2018), il interprétera des mélodies de Duparc, Gounod et Fauré, ainsi que des extraits d'œuvres de Massenet, de Bizet, d'Offenbach.


Interview réalisée le 11 décembre 2017.

"La Bohème" de Giacomo Puccini (1896).
Du 18 au 31 décembre 2017.

Opéra national de Paris.
Place de la Bastille, Paris 12e.
Tél. : 08 92 89 90 90.
>> operadeparis.fr

Christine Ducq
Jeudi 14 Décembre 2017

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique







À découvrir

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
06/03/2024
Spectacle à la Une

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023