La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Aux poings… Talent et talons au point !

Le sport dans le théâtre est encore rarement traité. Dans "Aux poings", Alix Andréani et Julie Duval utilisent leur passion commune, le Muay Thaï, pour porter un regard d'introspection, sous couvert d'humour, sur une jeunesse parfois en manque de rêves et d'ambition. Véritable manifeste de combat sur soi, elles revendiquent une parole féministe d'espoir.



© DR.
© DR.
Des spectacles autour du sport, il y en a peu. Pourtant, il est devenu un élément d'épanouissement personnel et social grâce à Coubertin (1863-1937) et, depuis plusieurs années, un objet trop souvent politique. C'est dans le cadre de l'atteinte d'un dépassement de soi que se pose la création de la compagnie Flamant noir. Une création originale qui se joue dans un endroit qui l'est tout autant.

Nous sommes dans les vestiaires et cela démarre par une discussion entre deux copines boxeuses. Elles saluent, avec humour, les spectateurs par des "Monsieur" et des "Madame", marquant une distance entre la scène et le spectateur pour le faire entrer dans l'univers du sport et de ses coulisses. Celles-ci sont un élément important car elles instaurent rapidement un rapport intime avec le public. Selon les tableaux, le spectateur est appréhendé dans son individualité, dans un cadre générique qui est celui d'un auditoire et dans la confidence.

La pièce a une portée particulièrement féministe. Les comédiennes et metteures en scène Alix Andréani et Julie Duval avaient comme idée de base "les filles du sud, la jeunesse populaire, les cagoles, ces jeunes filles qui parlent haut et fort" pour ensuite "s'intéresser à toutes les femmes" avec aussi un "questionnement sur leurs rêves" ou de leur incapacité à rêver autrement que par "le fait d'avoir une famille, des enfants, un mari, une maison" sans avoir "l'envie de partir, de s'accomplir, de se réaliser (…) avec l'ignorance de ses propres capacités, des choses que l'on peut accomplir". Ce sont sur ces axes principaux que la création a été montée au travers d'une recherche de figures féminines marquantes qui ont mené des combats dans leur vie.

© DR.
© DR.
L'effet de la scène a poussé le bouchon plus loin en utilisant aussi le Muay Thaï comme cadre dramaturgique. Les tableaux mettent en situation aussi bien les protagonistes que leur rapport aux mots, à la langue, faisant de celle-ci un élément plastique, modulable s'étirant du parler de rue aux envolées littéraires. Le ton a aussi différentes couleurs comme ceux de la confidence, de la combativité, de l'humour et du trop-sérieux-phagocyté-par-les-codes-de-la-société.

Plusieurs figures apparaissent dont celles de Marjolaine (Julie Duval), personnage attachant et agressif, et Éva (Alix Andréani), plus sereine et calme dans le propos et l'attitude. La figure sociale, "institutionnelle", est représentée par une conseillère d'orientation (Alix Andréani). Distante, guindée avec sa coiffure en chignon étirée vers le haut, en forme de tente, elle est aussi celle avec qui les premiers rapports ne sont pas aisés et qui permettent à Marjolaine de comprendre son décalage avec les codes de la société.

Il y a aussi une volonté de "casser les codes" autour de l'identité sexuelle de la boxe. Dans certaines scènes, les talons aiguilles, dans le cadre de cette création, sont utilisés avec les gants de boxe. Ce n'est pas un manifeste sportif féminin car nos artistes montrent que le sport, de combat entre autres, est aussi féminin. Il n'est pas exclusivement masculin. Le Muay Thaï, avec ses coups de poing, de coude, de pied, de genou, a son côté animus. Avec sa danse rituelle, le Wai Khru Ram Muay effectuée avant chaque combat et qu'Éva exécute, il a son côté anima.

Le spectacle est découpé en cinq parties. La première se joue aux vestiaires dans une discussion d'égal à égal. La deuxième est autour du sac à frappes (punching-ball) en combat avec soi-même et faisant le lien avec un autre hypothétique. La troisième est la partie esseulée, confidente dans une introspection nourrie par le vécu et les émotions de Marjolaine. La quatrième est la rencontre avec la société et ses codes autour de la figure de la conseillère d'orientation.

La cinquième enfin est la rencontre avec une autre personne, différente, sur qui, au final, une confiance peut être donnée. Sur ces cinq phases, différents protagonistes se rencontrent, se croisent, s'appuient ou se détournent. C'est dans ce cheminement existentiel que Marjolaine se découvre femme avec toutes ses potentialités, sans a priori, sans le regard de l'autre, sans ses rêves tués ou mis en hibernation dans le bas-côté. La partie moins intime et plus extérieure est jouée par Alix Andréani dans les différents personnages qu'elle incarne.

La trame dramaturgique est un positionnement social et d'identité grâce au Muy Thaï où le combat est avant tout contre soi-même, contre un punching-ball et face à un alter ego. Au final, les deux protagonistes se tombent dans les bras l'une de l'autre comme une victoire contre soi-même, ses peurs et ses inhibitions. Il y a aussi quelques jolis moments où la tendresse revendique son pré carré avec un regard perdu de Marjolaine.

Pièce intéressante à plus d'un titre qui décline, avec humour, une revendication politique et sociale d'un sport, le Muay Thaï, qui devrait faire de nouvelles (et de nouveaux !) émules.

"Aux poings"

© DR.
© DR.
Création d'Alix Andréani et Julie Duval.
Mise en scène : Alix Andréani et Julie Duval.
Conseil Artistique : Bruno Blairet.
Avec : Alix Andréani et Julie Duval.
Durée : 1 h.
Par la Compagnie du Flamant noir.

Du 8 au 25 octobre 2019.
Du mercredi au samedi à 20 h.
Le 100 ECS (Établissement Culturel Solidaire), Paris 12e, 01 46 28 80 94.
>> 100ecs.fr

Safidin Alouache
Vendredi 18 Octobre 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024