La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Au creux de la méditerranée s'engendrent, naissent et se perpétuent les mythes et les luttes

"Le Dernier Jour du jeûne", Théâtre du Soleil, Paris

Une ville du pourtour de la Méditerranée avec ses courtes maisons cubiques et blanches où s'entrelacent rues étroites et venelles. Une ville imaginaire qu'on reconnaît pourtant, écrasée par le soleil, toute parcourue par les vents aux senteurs fortes et épicées, aux effluves marines, chargés des sables du désert…



© Antoine Agoudjian.
© Antoine Agoudjian.
Une ville carrefour dont les fondations ont vu défiler peuples et civilisations depuis des siècles et qui, forte de cette parenté, sait le prix de l'éphémère, du divin et, malgré toutes les incroyables mutations qu'elle a connues par le passé, croit en l'éternité, l'immuable, la pérennité.

C'est dans cette ville que nous emmène l'écriture ondoyante de Simon Abkarian. Pas pour nous parler du passé, mais de l'histoire, celle d'hier capable de nous raconter aujourd'hui, mais surtout celle de notre époque qui s'écrit jour après jour, cette histoire que les pierres des décombres raconteront demain aux générations futures.

Questionnements après questionnements, une âme se révèle ici et nous touche au-delà de toute conscience : par les sens, les souvenirs inconscients et la fascination. Elle s'empare de brisures de vies et de petits destins et de rêves humbles. Elle les lustre dans le chiffon du cœur et nous les fait étinceler par une écriture lumineuse.

Pourtant, ne sont racontées ici que de minuscules moments, des luttes microscopiques à l'aune du mondial, simples existences à la recherche de valeurs à offrir à l'humanité, à la recherche simplement de cette humanité dont le devoir est de s'éloigner de la créature animale, de la brute, de la sauvagerie. Par la foi, les cérémonies ou la lutte contre un ordre injuste. Et chercher le bonheur.

© Antoine Agoudjian.
© Antoine Agoudjian.
L'amour règne, c'est le vecteur qu'a choisi Simon Abkarian pour nous emmener dans ce monde moraliste, presque d'un autre siècle, où le père de famille (incarné par Simon Abkarian lui-même) est un maître, et où la mère (la flambante Ariane Ascaride) réunit toutes les vertus mais pas seulement. C'est cette lutte pour la liberté, l'égalité des femmes dans un monde rigide et mâle, les violences subies, impunies, qui forment le cri sourd de la pièce : mais toute la vie, tout l'audible passe en fait par le rire, la jouissance de la friction, de la provocation, et un lyrisme mêlé à une crudité tous deux régénérateurs.

La Méditerranée est très sexuée. Le viril et le féminin sont des enjeux millénaires autour de cette mer intérieure pleine de mystères et de dangers, cachés sous le feu hardi du soleil où les sens peuvent s'égarer à la moindre petite brise, au plus mol reflet de lune miroitant sur les eaux, un soir d'été, dans le parfum du cèdre… Ici, les deux parties semblent de droit égal, même si c'est l'univers féminin qui resplendit dans un hommage non dissimulé.

Simon Abkarian et sa troupe (chacun porte son rôle avec une formidable virtuosité) présentent ici un spectacle qui propose générosité et talent, rires et folies, gravité et bravoure, qu'il serait dommage de ne pas aller cueillir.

"Le Dernier Jour du jeûne" est la première partie du diptyque intitulé "Au-delà des ténèbres" écrit et mis en scène par Simon Abkarian, actuellement à l'affiche au Théâtre du Soleil. La deuxième partie, "L'Envol des cigognes", se joue en alternance, les deux spectacles ensemble les samedis et dimanches.

"Le Dernier Jour du jeûne"

© Antoine Agoudjian.
© Antoine Agoudjian.
Écriture et mise en scène : Simon Abkarian.
Collaboration artistique : Pierre Ziadé.
Avec : Simon Abkarian, Ariane Ascaride, David Ayala, Assaâd Bouab, Pauline Caupenne, Délia Espinat Dief, Marie Fabre, Océane Mozas, Chloé Réjon, Catherine Schaub-Abkarian , Igor Skreblin.
Lumière : Jean-Michel Bauer.
Son et Vidéo : Olivier Renet.
Décor : Noëlle Ginefri-Corbel.
Régie Générale : Pierre-Yves Froehlich.
Régie plateau : Laurent Clauwaert.
Accessoires : Philippe Jasko.
Costumes : Anne-Marie Giacalone.
Régie : Maral Abkarian.
Danse : Philippe Ducou.
Durée du spectacle : 2 h 30.

Du 5 septembre au 14 octobre 2018.
Du mercredi au vendredi à 19 h 30, en alternance.
"Le dernier Jour du jeûne" : mercredis 5 et 19 septembre + tous les vendredis.
"L'Envol des cigognes" : mercredis 12 et 26 septembre + mercredis 3 et 10 octobre + tous les jeudis.
Version intégrale des deux spectacles : samedi à 16 h et dimanche à 13 h (entracte d'une heure entre les deux spectacles).
Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, Paris 12e, 01 43 74 24 08.
>> theatre-du-soleil.fr

Bruno Fougniès
Mercredi 12 Septembre 2018

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024