La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Festivals

"Africapitales"… De Paris à Cotonou, un rythme fou !

C'est la 3ᵉ édition du festival Africapitales qui se déroule du 8 au 31 mars sur Paris. Sont présentés cette année trente artistes du Bénin à travers les huit disciplines artistiques que sont le cinéma, le théâtre, la danse, le stand-up comédie, la musique, la mode, les arts visuels et le design. Dans notre excursion, place au théâtre et à la musique avec respectivement Kimpa Vita, Folly Romain et le Bénin International Musical vu lors des deux soirées d'ouverture.



Benin International Musical © Danielle Fourchaud.
Benin International Musical © Danielle Fourchaud.
Africapitales a été créé dans une approche artistique pour permettre l'émergence d'opportunités entre des villes, des territoires et des sociétés civiles de France et d'Afrique et dans une dynamique, selon l'un de ses fondateurs, Khalil Tamer," durable et solidaire". Il vise ainsi à une mise en lumière d'un pays, cette année le Bénin, pour créer et s'enrichir entre Paris et Cotonou de liens culturels de cohésion. Est programmée, un mois après celle de Paris, une édition du festival dans la ville de Cotonou.

L'ouverture du festival démarre avec Kimpa Vita, en résidence, dans une dynamique douce avec une sonorité vocale un peu grave accompagnée à la basse par Benoît Lugué. Les voix se font entendre et se superposent comme un voile qui couvre tout l'espace phonique. On y découvre une femme, Dina Mialinelina, habillée d'une robe rouge, courant, par intermittence, sur toute la scène comme à la fuite de quelque chose ou de quelqu'un. Elle regarde le public de façon presque étonnée et étourdie de sa course. Puis, elle démarre un chant parlé où Dieu est perçu, à travers elle, au travers d'une image féminine, qui plus est noire. Elle effectue des interpellations vocales à connotation théâtrale vers le public pour questionner.

© Dominique Jouxtel.
© Dominique Jouxtel.
Dieu représenté en femme noire ? Pourquoi pas puisqu'en Occident et ailleurs, Dieu a la peau blanche comme ses vainqueurs de l'Histoire qui donnent leur couleur à toutes leurs représentations ? C'est autour de ce renversement de perspective que la trame dansée s'articule dans une chorégraphie de Delavallet Biodiefono.

La ligne de basse a des accords de plus en plus rythmés, symbolisés sur scène par Florence Gnarigo, en solo, qui danse la tête penchée, presque à l'horizontale, faisant tournoyer ses nattes, ses membres supérieurs faisant une gestuelle ample, regardant le public intensément, comme possédée. Cette fixité du regard, nous la retrouvons ainsi dans le chant et la danse, comme un élément scopique de vérité et de persuasion. Le regard est celui qui nomme et qui dit. Le corps semble être habité par celui-ci qui devient autant intérieur qu'extérieur, comme pour fouiller chaque spectateur dans son âme. C'est très physique, les nattes devenant l'élément le plus libre des gestiques, en mouvement continuel quand le corps paraît, dans ses gestuelles amples et en tension, frôler une ligne horizontale imaginaire à hauteur de taille.

Le spectacle est autant créatif qu'engagé et gagnerait à se prolonger dans la durée dans ses excursions dansées et théâtrales.

Place ensuite à la musique avec Folly Romain, en première partie du groupe BIM (Bénin International Music). Assis tranquillement avec son ukulélé, ses percussions électroniques à côté, il démarre avec sa superbe voix, très puissante qui lui permet de porter les notes à des octaves très élevées ou très basses. En écho, elle se fait entendre via son clavier électronique en répétition dans une courte cascade. Ce sont des chansons, avec une musique dénudée, portées souvent par un seul instrument à la tonalité douce et mélodique.

Romain Folly sort son premier album "Adovi" en 2023. Chanteur, compositeur, percussionniste et danseur béninois, il possède une voix androgyne exceptionnelle qui lui permet d'étendre sa puissance vocale sur des compositions autant intimistes que moins confidentielles. Avec sa percussion, il entonne, entre autres, un chant sur les revenants dans un canevas typiquement traditionnel.

Puis c'est au Bénin International Musical (BIM) d'apparaître sur scène. Le groupe a été créé à Cotonou en 2016 avec un seul album haut en couleurs "Bim#1" (2018), puis quelques singles ont suivi.

© Dominique Jouxtel.
© Dominique Jouxtel.
Le tempo est très rythmé avec une richesse de composition qui allie le son chaud des terres et des rives du Bénin et son enthousiasme ensoleillé avec les percussions de Resnikpa (Totin Emile), la ligne mélodique à la basse de Lionel (Boni Obinti) et Amessiamey (Brigitte KITI) et Nayel Hoxo (Yelouassi Nadège) en chanteuses de tête et quand elles sont en chœur très en appui de Jimmyl Belah (Jimmyl Tchegnon), le batteur/chanteur, avec sa voix forte. Ça transporte, c'est gai, joyeux, expansif, contagieux avec, entre autres, "Benin Tovilê", "The Benin Atmosphere" ainsi que "L'Aube Nouvelle", l'hymne du Bénin, "façon BIM" comme rappelé par Jimmyl Belah. La dernière chanson "Téoun Téoun" est dans une trame musicale et chantée beaucoup plus en douceur, à la manière du Gospel.

Le groupe puise sa particularité en chantant leur culture dans des tempos et rythmes de Rock Vaudou, le Vaudou étant encore largement répandu au Bénin et au Togo. Ce style de musique est un mariage entre instruments traditionnels comme, entre autres, pour BIM, des percussions telles que le kpézin, le gangan, le sacla ou le Ogbon et la guitare, la batterie, voire les castagnettes. Et c'est terriblement efficace !

"Africapitales"
Du 8 au 31 mars 2024.
Quartier de la Goutte-d'Or.
Lavoir Moderne Parisien, Paris 18ᵉ, 01 46 06 08 05.
>> lavoirmoderneparisien.com

Safidin Alouache
Vendredi 15 Mars 2024

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024