La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Concerts

Aedes et Les Surprises… Passion Bach

Le chœur Aedes et l'ensemble Les Surprises ont initié leur grande tournée estivale à l'Opéra de Massy en interprétant une "Passion selon Saint-Jean" intimiste et bouleversante.



© Opéra de Massy.
© Opéra de Massy.
La première des deux Passions de Jean-Sébastien Bach qui nous soient parvenues est écrite par le nouveau Maître de chapelle de Leipzig en 1724 à l'occasion des célébrations de la Semaine Sainte. Depuis 1723, Bach y est cantor en remplacement de Johann Kuhnau décédé en 1722. Il a ainsi l'occasion de composer sa première partition de grande envergure, un oratorio consacré à la passion du Christ inspiré par l'évangéliste Jean traduit par Martin Luther mais aussi par le choral luthérien chanté par l'assemblée des fidèles - ou chant liturgique protestant. Cette œuvre d'une durée d'environ deux heures aux quarante numéros, fresque plus intimiste (et moins pathétique) que la "Passion selon Saint-Matthieu" avec ses soixante-huit numéros, retrace l'arrestation, le procès puis la crucifixion de Jésus.

Bach, interdit d'opéra par contrat par le Conseil de la ville de Leipzig, compose avec cette première passion un véritable "opéra spirituel" (selon l'expression de Sébastien de Broissard au XVIIIe siècle). Un triptyque à l'architecture digne de la perfection de la Cité de Dieu des théologiens : chacun des trois grands épisodes de cette passion narrée par l'évangéliste présentant quatre chorals et trois arias, l'ensemble encadré par deux grands chœurs - figurant alors les fidèles - célébrant les certitudes éternelles de la foi luthérienne.

Du premier "Herr, unser Herscher" (Seigneur, notre Maître), tout plein de l'espérance téléologique de la nécessité du sacrifice du Christ, jusqu'au dernier "Ruht wohl" (Repose en paix), éclairé par la lumière de la vie éternelle après la résurrection, le drame à la portée métaphysique peut dérouler ses épisodes soutenus par une tension sans faille. Y interviendront les principaux personnages, Jésus, Pierre (et son reniement), Pilate, la foule, le grand prêtre Caïphe, entre autres.

© Opéra de Massy.
© Opéra de Massy.
Mathieu Romano dirige cette "Passion selon Saint-Jean" en portant haut les qualités du chœur Aedes qu'il a fondé en 2005 (et dont ladite passion fut chantée à leur premier grand concert) et de l'ensemble Les Surprises - avec à l'orgue Louis-Noël Bestion de Camboulas et à la viole de gambe Juliette Guignard, ses fondateurs.

Passion de l'intériorité et du mystère de la foi, avec les effectifs plutôt réduits du chœur (et ses dix-huit chanteurs) et des musiciens sur instruments anciens, replonge l'auditeur dans une recréation proche (on le rêve ainsi) de ce que fut l'office de Pâques d'avril 1724 - la Tomaskirche en moins. Le contexte de la salle moderne de l'Opéra de Massy nous donnant très envie de réentendre ce concert dans des lieux tels l'abbaye de l'Epau ou la basilique de Vézelay.

Au sommet de leur art, le chœur et les solistes soignent technique et expressivité en une entente parfaite. Spatialisation polyphonique, déploiement des lignes musicales, intervention précise des acteurs, tout sonne juste entre méditation sereine des croyants, cris de la foule, récit et ample discours tragique. L'évangéliste du ténor portugais Fernado Guimaraes est un narrateur convaincant (même si sa prononciation de l'allemand se révèle parfois surprenante).

Le très beau timbre du ténor Enguerrand de Hys illumine comme il se doit ce tableau dramatique et l'impressionnant Victor Sicard compose un Jésus jeune, clair et émouvant. Remarquables aussi la basse du chœur Aedes, Nicolas Brooymans en Pilate, et Rachel Redmond au soprano tout bonnement céleste. Ils sont soutenus par des musiciens au diapason, particulièrement les bois et les cordes de l'ensemble Les Surprises.

Concert entendu le 23 mars 2016.

Les Surprises © Bertrand Pichène.
Les Surprises © Bertrand Pichène.
Prochaines dates :
27 mai 2016 : Festival de l'Epau.
20 août 2016 : Rencontres musicales de Vézelay.
23 août 2016 : Opéra de Vichy.
24 août 2016 : Sinfonia en Périgord.

"Passio secundum Joannem" BWV 245 (1724).
Musique : Johann Sebastian Bach (1685-1750).
Ensemble Aedes - Les Surprises.
Mathieu Romano, direction.


Fernando Guimaraes, L'Évangéliste.
Rachel Redmond, soprano.
Mélodie Ruvio, alto.
Enguerrand de Hys, ténor.
Victor Sicard, Jésus (basse).
Nicolas Brooymans, Pilate (basse).

>> ensemble-aedes.fr

Christine Ducq
Mercredi 30 Mars 2016

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024