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Théâtre

Accorder mémoire et souvenirs pour composer une nouvelle mélodie réconciliatrice

"Un mardi en novembre", Théâtre Le Guichet Montparnasse, Paris

Reprise ! Sur le fil tendu de l'émotion distillée par les nombreux questionnements sur nos chemins de vie et sur la volatilité de l'éther des souvenirs qui en émane, Julien Séchaud, après "Aimez-vous la nuit ?", nous offre un nouveau texte délicat et d'une toujours même profondeur : "Un mardi en novembre". Dans cette pièce mise en scène par Annie Vergne, l'absence et la mémoire sont les problématiques qui aideront à ressouder une famille désunie.



© Séverine Lacroix.
© Séverine Lacroix.
Au départ, une famille dont les membres ne communiquent plus, en souffrance, presque banale si ce n'est le choix du métier de chacun : Eva, la mère, est comédienne mais vient de stopper brutalement sa carrière ; Aurélien, le fils ainé, est un pianiste de renom qui, lui, arrête de donner des concerts. Lisa, la nièce, est le personnage altruiste, "l'infirmière" qui aimerait panser les maux, celle qui pense aux autres avant de penser à elle ; quant à Samuel, le petit dernier, est "différent" et addict aux jeux vidéos.

Deux évènements donnent le "La" aux situations qui vont se construire, évoluer au fil de la partition écrite par Julien Séchaud : la mort de l'enfant "différent" et la maladie d'Alzheimer dont est atteinte la mère. Deux drames survenant au cœur d'une famille déconstruite qui, interrogeant les définitions de la mémoire, de l'existence et de l'entretien des souvenirs, va petit à petit aller vers la reconstruction, retrouver l'accord au diapason, de celui qui fait que la mélodie au piano redevient audible et agréable.

© Séverine Lacroix.
© Séverine Lacroix.
Comme pour son précédent texte, l'auteur pose les éléments du puzzle relationnel par petites touches, subtiles et sensibles, harmonieuses... Comme une petite cantate qui s'écrirait sur un papier à musique où les portées ne sont pas encore dessinées. Seule, comme une rythmique suggérée, cadence percussive des souvenirs, la voix off d'une journaliste (ingénieuse idée de mise en scène d'Annie Vergne), interprétée par Isabelle Delage, relate les évènements importants, vus de l'extérieur, bons ou mauvais, mais tissant pour le spectateur la trame de l'histoire.

Malgré les caractères bien affirmés de chacun, les actions vont se dérouler sans violence. Les non-dits, les rancœurs, les douleurs vont apparaître et se dissoudre au fil de l'évolution de la maladie d'Alzheimer d'Eva et de l'acception de la disparition de Samuel, le jeune frère. L'élaboration d'un nouveau chemin de vie et la réalisation du deuil passera par l'amour familial retrouvé et la reconnaissance de l'importance de la vie. Cela ne pouvant se réaliser que par l'entretien, l'échange des souvenirs et de la mémoire du disparu.

© Séverine Lacroix.
© Séverine Lacroix.
Une nouvelle fois, Annie Vergne nous offre une mise en scène au cordeau, d'une délicatesse inouïe et d'une grande humilité. Au service de la pièce de Julien Séchaud, elle orchestre la mise en espace avec souplesse et élégance... Et excelle à amplifier la profondeur et la densité du texte tout en laissant une impression de fluidité aérienne.

Elle est en cela parfaitement secondée par une distribution où l'on retrouve le jeu tout en finesse et équilibre de Ghislain Geiger, donnant au fils ainé la consistance émotionnelle nécessaire et parfaitement graduée devant aller du fils rancunier, en colère, à celui découvrant l'amour maternel. Juliette Stevez apporte sa chaleur et son enthousiasme au personnage de Lisa, entre renonciation sincère au début pour finir avec la joie de l'épanouissement.

© Séverine Lacroix.
© Séverine Lacroix.
Annie Vergne interprète le rôle d'Eva, la mère comédienne, donnant toute l'intensité, la maîtrise émotionnelle et la pudeur contrôlée indispensables à ce rôle dont les certitudes et la force de caractère vont petit à petit se déliter sous l'emprise de la maladie. Et si la maladie d'Alzheimer devient inexorablement présente, l'auteur sait l'arrêter au seuil de l'espoir. Quand à Julien Séchaud, son interprétation de l'enfant disparu, joueur, aux apparitions rieuses, presque joyeuses, est suffisamment intelligente et toute en retenue pour être crédible et donner une présence enfantine... presque étrange.

Au final, une belle création traitant de sujets délicats et sensibles où l'on retrouve déjà la "patte" d'un jeune auteur qui confirme nos bonnes impressions lors de la création de son premier texte et la permanence talentueuse d'une compagnie qui mériterait de se retrouver, avec "Un mardi en novembre", sur un plateau de théâtre plus conséquent lui donnant une visibilité encore plus accrue, à la hauteur de la qualité de ses productions.

À noter la création musicale originale de Nicolas Van Melle donnant, selon la méthode du contrepoint, une réplique pertinente aux dialogues. Ainsi, cette partition au piano distille des notes colorant les différentes émotions des personnages.

"Un mardi en novembre"

© Séverine Lacroix.
© Séverine Lacroix.
Texte : Julien Séchaud.
Mise en scène : Annie Vergne, assistée de Isabelle Delage.
Rôle additionnel de la journaliste : : Annie Vergne (conception) et Isabelle Delage (écriture).
Avec : Ghislain Geiger, Julien Séchaud, Juliette Stevez, Annie Vergne et la participation de Isabelle Delage.
Musique originale : Nicolas Van Melle.
Bande son : Benoît Pommerolle.

Succès - Prolongations !
Du 2 septembre au 17 décembre 2016.
Vendredi et samedi à 19 h.
Théâtre Le Guichet Montparnasse, Paris 14e, 01 43 27 88 61.
>> guichetmontparnasse.com

Du 4 septembre au 19 décembre 2015.
Vendredi et samedi à 19 h.
Toujours au Guichet Montparnasse.

Du 5 septembre au 20 décembre 2014.
Vendredi et samedi à 19 h.

© Séverine Lacroix.
© Séverine Lacroix.

© Séverine Lacroix.
© Séverine Lacroix.

Gil Chauveau
Mardi 25 Novembre 2014

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