La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"3 works for 12"… Robotique et poétique

Alban Richard, autour des musiques de Louis Andriessen, Brian Eno et David Tudor, fait trois propositions chorégraphiques dans lesquels l'humain devient machine, l'organique, robotique. La liberté gestuelle se marie avec des automatismes faisant de cette création un visage à la Janus.



© Agathe Poupeney.
© Agathe Poupeney.
C'est d'abord une musique entraînante, entêtante, celle de "Hoketus" de Louis Andriessen (1939-2021). Ressemblant à un flux de percussions, elle exprime cet écoulement incessant des pérégrinations scéniques effectuées par les danseurs qui sont comme des automates avec des mouvements mécaniques presque d'horlogerie, les bras se levant, se courbant, retombant au niveau du coude pour redémarrer de manière très synchronisée. Tous sont sur les mêmes lignes, celles-ci se brisant de façon géométrique, se décalant à des niveaux différents, toujours droites, les interprètes, en trio, s'avançant ou reculant pour se rejoindre ensuite. Le titre du spectacle porte bien son nom même si parfois, dans les autres tableaux, les douze danseurs sont seuls dans leurs déplacements.

Pour le deuxième tableau, c'est l'ouverture vers la scène, mais prise dans son intégralité. Les mouvements s'enchaînent, là aussi tous géométriques. Les artistes se croisent, de biais, en diagonale ou tout droit. Constamment par groupes de trois personnes, mais jamais en se regardant. Quasiment machinalement, ils se déplacent en ligne droite, courbes et ellipses sont oubliées. Même très synchronisés en trio, ils sont seuls, ne se touchent pas, ne s'évitent pas en ne se rencontrant jamais. Paradoxalement, ce côté un peu inhumain, ne s'offusque pas de liberté, car celle-ci est très présente. Du moins, elle accompagne les trajets des différents protagonistes.

© Agathe Poupeney.
© Agathe Poupeney.
Aussi, les corps peuvent se laisser aller pour certains, quitte à se tasser pour fléchir vers le sol tout en restant debout pour d'autres. Cet équilibre, flottant, ces regards parfois perdus quand, pour d'autres, ils s'expriment avec rondeur, énergie, gourmandise vis-à-vis de l'espace et des gestuelles, campe une vue d'ensemble où les déplacements corrélés à celles-ci, aussi diverses qu'elles soient, donnent un sentiment de composition, comme un ballet de corps. Même si rien ne semble ordonné, à dessein, même si les gestes ne rentrent pas dans une même grille, l'harmonie est de mise dans les trajets, faisant de ceux-ci, une belle mosaïque ordonnée.

Les artistes font ensuite de grands mouvements amples, les bras s'étendant vers le haut, les jambes accompagnant les déplacements, ceux-ci très bien agencés et vont dans toutes les directions. Cet agencement donne une autonomie de trajet à chacun avec harmonie, cohérence. Personne n'est avec l'autre, mais tous sont ensemble.

Puis un danseur amène une planche de mixage en milieu de scène qui émet une musique de variétés un peu rétro. L'atmosphère est presque de boîte de nuit. Les chorégraphies, quasiment robotiques, s'enchaînent, les membres inférieurs et supérieurs des protagonistes se pliant ou s'étendant mécaniquement. Ils se lassent, se tassent, mais sans s'effondrer, les corps s'assoupissant parfois tout en prenant un rythme autonome. Chacun est dans son trip.

Là aussi, nul contact, ils ne se regardent pas. Cela avance de partout. Ils se croisent, se recroisent, les bras se jetant pour certains vers l'avant, de petits cerceaux sont aussi figurés par ceux-ci en faisant un tour sur eux-mêmes pour certains. Chacun a sa propre danse, aucune ne se ressemble. Mais elles se combinent, s'entrecroisent. Un moment, six interprètes font des gestuelles élégantes et plus en rondeur, avec des courbes et une certaine grâce, les membres supérieurs se lançant à l'horizontale pour finir légèrement en virgules.

Pour entrecouper chacun de ces moments, les artistes se changent côté cour au vu du public. Là, ils redeviennent humains. Ils font une pause, boivent de l'eau, chacun de leur côté, mais tous ensemble pour repartir ensuite. Comme si l'autre n'existait pas. Ou avait sa propre partition tout en respectant celle du voisin. C'est un mélange de différents styles de danses qui viennent se greffer les unes aux autres de façon discrète pour une cohabitation artistique des plus réussies.

"3 works for 12"

© Agathe Poupeney.
© Agathe Poupeney.
Conception, chorégraphie et lumière : Alban Richard.
Assistants chorégraphiques : Max Fossati, Daphné Mauger.
Avec : Anthony Barreri, Constance Diard, Elsa Dumontel, Mélanie Giffard, Célia Gondol, Romual Kabore, Alice Lada, Zoé Lecorgne, Jérémy Martinez, Adrien Martins, Clémentine Maubon, Sakiko Oishi.
Musique :
"Hoketus" (1976) de Louis Andriessen, interprété par Icebreaker, en direct du Queen Elisabeth Hall au South Bank Centre de Londres le 5 décembre 1991.
"Fullness Of Wind - Variation on Canon in D Major" (1975) de Johann Pachelbel - Brian Eno, interprété par The Cockpit Ensemble, enregistré à Trident Studios le 12 septembre 1975.
"Pulsers" (1976) de David Tudor. Sortie sur vinyle en 1984, enregistré au Airshaft Studio à New York.
Lumière : Jérôme Houlès.
Son : Vanessa Court.
Régie son : Denis Dupuis.
Costumes : Fanny Brouste.
Réalisation costumes : Yolène Guais.
Conseillère en analyse fonctionnelle du corps dans le mouvement dansé : Nathalie Schulmann.
Régie plateau : Olivier Ingouf.
Durée : 1 h 10.
Production déléguée : Centre Chorégraphique National (CCN) de Caen.

Le spectacle a eu lieu au Théâtre national de Chaillot du 12 au 15 janvier 2022.

Tournée
28 janvier 2022 : Théâtre Le Rive Gauche (en coréalisation avec l'Opéra de Rouen Normandie), Saint-Étienne-du-Rouvray (76).
10 mai 2022 : Le ZEF Festival Propagations (en coréalisation avec le GMEM - Centre national de création musicale de Marseille), Marseille (13).

Safidin Alouache
Jeudi 20 Janvier 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024