La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Cirque & Rue

"23 Fragments de ces derniers jours" L'art du cirque encore et toujours plus surprenant avec la dernière création de Maroussia Diaz Verbèke

Il y a des spectacles dont il est extrêmement difficile de rendre compte tant ils sont loin des normes. "23 Fragments de ces derniers jours" fait partie de ceux-là. Construction volontairement éclatée, multiplicité des disciplines, formes et contenus en constantes variations. Libertés de ton, des performances, des enjeux. Une mise en scène faussement simple, faussement improvisée, mais qui rend toujours sa part à la précision vitale que l'art du cirque impose à ses interprètes. Un spectacle qui déroule tout ensemble, de la pensée, de la poésie et de la bravoure circassienne et chorégraphique. Bref, une circographie(1) riche et performante.



André Oliveira DB et Marco Motta © João Saenger.
André Oliveira DB et Marco Motta © João Saenger.
La circographie : un joli terme que Maroussia Diaz Verbèke a inventé pour qualifier ses recherches sur le langage de l'art circassien. Et il trouve ici toute sa légitimité car tout ce qui se passe sur scène parle. Ce sont effectivement, comme le titre le précise, des fragments (23 à l'origine, mais qui se sont multipliés par deux à cause de l'allongement du temps de répétition). Des fragments éparpillés, un peu comme un carnet de notes de voyages dont les pages se seraient détachées, volées et envolées par un souffle d'air et retombées en désordre. Mais aussi un voyage à travers le temps sur les terres brésiliennes de 2018 jusqu'à ces "derniers jours".

Un immense cercle posé au sol (clin d'œil à la piste sous le chapiteau) sert d'espace de jeu aux six artistes pour cette série de performances qui s'enchaînent à vive allure, soutenues par une bande-son mais le plus souvent par des textes et des bruitages créés en direct. Dès les premières secondes, le ton est donné : ils sont amusés, goguenards, joyeux, rieurs. Ils vont être chacun tour à tour performeurs, acteurs ou régisseurs plateau, les uns pour les autres, les unes pour les autres. Courant en coulisses, ils rapportent tous les accessoires qui vont servir au spectacle. Bazar d'objets hétéroclites allant de dizaines de jouets pour enfants (ceux qui couinent lorsqu'on appuie dessus), des bouteilles en verre, des parapluies, des tabourets, des bacs entiers de tessons de bouteilles, des bâches de plastique à bulles, des ballons, des paillassons sur lesquels sont tatoués des messages, etc.

Béatrice Martins © João Saenger.
Béatrice Martins © João Saenger.
L'esprit de l'enfance semble être le moteur de cette troupe, un esprit ludique qui ne s'appesantit à aucun moment sur le grave, le triste ou le tragique. Pourtant, la gravité est bien là, et c'est toute la beauté du spectacle, portée par une sorte de joie solide et lumineuse. On retrouve étrangement dans cette dualité entre rire et tragique la philosophie du clown. Mais il y a surtout dans ce détachement apparent comme l'essence même du pays, le Brésil, une partie de l'âme du plus vaste pays d'Amérique du Sud où le spectacle a vu le jour, où l'on peut danser sur le malheur et lancer des chants et des musiques par-delà la misère, où l'on peut rire à la face de la mort.

Pour la conception de ce spectacle, la "circographe" (et sa compagnie Le Troisième Cirque) s'est appuyée sur une longue collaboration avec le collectif Instrumento De Ver. Une recherche initiée en 2018 par une résidence de recherche au Brésil qui s'est poursuivie par plusieurs sessions de travail durant les années qui suivent ; années difficiles pour le Brésil avec l'élection de Bolsonaro à la présidence, et difficiles pour le monde avec la Covid, tous ces bouleversements venant infuser dans le projet leur lot d'angoisse, d'incompréhension et de révolte. Trois danseurs de Rio, Recife et Salvador de Bahia sont venus enrichir ce plateau d'acrobates et de circassiennes.

Lucas Cabral Maciel © João Saenger.
Lucas Cabral Maciel © João Saenger.
Elles et ils sont gymnastes, acrobates, trapézistes, équilibristes, mais aussi danseurs de frévo, de funk, et, comme des réincarnations venues des origines du cirque populaire, contorsionniste et fakir. Mais ce qui touche, émeut et nourrit, c'est bien l'esprit de liberté, la joie et le pied-de-nez au risque que nous offre ce spectacle à dévorer.

((1) Circographie : néologisme de Maroussia Diaz Verbèke, datant de 2015, en open source.
Nom féminin désignant l'écriture spécifique/la mise en scène d'un spectacle de cirque.

"23 Fragments de ces derniers jours"

Julia Henning © João Saenger.
Julia Henning © João Saenger.
Bilingue brésilien/français.
Circographie : Maroussia Diaz Verbèke.
Assistante à la circographie : Élodie Royer.
Interprètes créateurs : Lucas Cabral Maciel, Julia Henning, Béatrice Martins, Maíra Moraes, Marco Motta et André Oliveira Db.
Régie générale : Thomas Roussel
Conception technologique : Bruno Trachsler.
Création lumière : Diego Bresani et Bruno Trachsler.
Recherche musicale : Loic Diaz Ronda et Cícero Fraga.
Recherche scénographie : Charlotte Masami Lavault.
Technique costumes : Emma Assaud.
Production et conception : Le Troisième Cirque (France) et Instrumento de Ver (Brésil).
Tout public dès 8 ans.
Durée estimée : 1 h 35.

A été représenté du 8 au 18 février 2023 au Monfort Théâtre, Paris 15e.

Tournée
2 mars 2023 : Cirque Jules Verne, Amiens (80).
Du 3 au 21 juin 2023 : CoOp, Maison des Métallos, Paris 11e.
Du 9 au 19 août 2023 : Festival Multipistes, Le Sirque, Nexon (87).

Bruno Fougniès
Mardi 21 Février 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024