La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"Double Murder, Clowns/The Fix" Le pendule survolté de Hofesh Schechter oscille entre violence et résilience

Intrigante la rencontre fortuite sur un plateau de théâtre de frénétiques danseurs habités par des énergies diaboliques et des mêmes danseurs avides de tendresse… La double inconstance des pulsions agitant l'humain traverse "Clowns" et "La solution (The Fix)", les deux parties indissociables et complémentaires de cette création débordante d'aventures sonores et de tableaux débridés. Au rythme d'une musique répétitive usant de toutes les gammes pour subjuguer les repères communs, la troupe de Hofesh Schechter - chorégraphe trublion - transporte dans un ailleurs empreint d'un réalisme magique.



"Clowns" © Todd MacDonald.
"Clowns" © Todd MacDonald.
Le double meurtre annoncé dans le titre digne d'un polar a pour lieu l'univers d'un cirque (celui de la comédie humaine) avec son rideau rouge et ses guirlandes lumineuses tombant des cintres. Accueilli par un clown blanc, sorte de chauffeur de salle annonçant le retour à une normalité que tout démentira, le public devient instantanément captif des scènes de vie chorégraphiée. Alternant danses traditionnelles et contemporaines, figures harmoniques et dysharmoniques, les danseurs offrent un tableau fragmenté des comportements sociaux en milieu (in)tempéré, de l'union à la désunion, de l'entraide à l'agressivité. Ainsi des moments réitérés à l'envi où chacun à son tour tranche la jugulaire de son partenaire s'effondrant au sol.

Soutenus par une partition du même chorégraphe israélien jouant de toutes les ressources musicales pour enivrer les sens, les massacres à la chaîne s'inscrivent dans des chorégraphies composées comme des tableaux. Tandis que les lumières stroboscopiques sculptent l'espace-temps, les faces distordues des protagonistes ajoutent au réalisme magique des scènes où la violence déferle comme une vague irrépressible. Ainsi, comme des fragments d'un discours discontinu, l'essence de la violence humaine fait sens en nous.

"Clowns" © Todd MacDonald.
"Clowns" © Todd MacDonald.
Après l'entracte - nécessaire pour "aérer" les oreilles mises grandement à contribution - les tableaux présentés ne perdront en rien de leur énergie vitale. Sauf que le tempo musical s'assagira un tant soit peu au rythme de la quête d'une résilience à construire. Celle-ci n'étant pas donnée, mais restant une conquête suscitant de vifs ébats où ralentis et mouvements accélérés se succèderont, s'étayant les uns les autres pour cheminer vers un ailleurs plus aimable. La communauté solidaire des danseurs faisant chœur prendra soin des détresses individuelles, jusqu'à déborder dans la salle…

Si l'expression "expérience à vivre" appliquée à un spectacle d'art vivant peut paraître depuis longtemps galvaudée, ici elle reprend toutes ses couleurs tant c'est à une immersion sensorielle sans pareille à laquelle le spectateur - muni de bouchons d'oreilles et prévenu des effets stroboscopiques - est convié. Ainsi, même si les ressorts dramatiques de "Double Murder" (hormis l'opposition violence/résilience) peuvent apparaître ténus, si les tableaux sont inlassablement scandés par le retour du même, c'est au bénéfice d'une répétition compulsive propre à "parler aux sens". Une chorégraphie humaine, plus qu'humaine où, tel Janus, violence et résilience sont les deux faces indissociables du même.

Vu le 30 novembre 2022 au TnBA de Bordeaux (Grande salle Vitez). A été représenté du 30 novembre au 2 décembre au TnBA, en partenariat avec l'Opéra National de Bordeaux.

"Double Murder, (Clowns/The Fix)"

"The Fix" © Todd MacDonald.
"The Fix" © Todd MacDonald.
Chorégraphie et musique : Hofesh Shechter.
Avec : Robinson Cassarino, Frédéric Despierre, Rachel Fallon, Emma Farnell-Watson, Mickaël Frappat, Natalia Gabrielczyk, Charles Heinrich, Yeji Kim, Zee Zunnur, Juliette Valerio.
Conception lumière "The Fix" : Tom Visser.
Costumes "The Fix" : Peter Todd.
Conception lumière "Clowns" : Lee Curran.
Conception lumières additionnelles "Clowns" : Richard Godin.
Créations de costumes "Clowns" : Christina Cunningham.
Directeur artistique associé : Bruno Guillore.
Musiques additionnelles : "Clowns", "Can Can", composé par Jacques Offenbach et "The Sun", joué par Kim Jung Mi, écrit et édité par Shin Joong Hyun (KOMCA) ; "The Fix", "Le Roi Renaud" (version instrumentale) composé par Pierre Bensusan.
Par la Hofesh Shechter Company.
Durée : 1 h 35 avec entracte.

"Soucieux du bien-être en salle de nos spectatrices et spectateurs, nous tenons à vous informer de la présence d'effets stroboscopiques dans le spectacle. Par ailleurs, des bouchons d'oreille sont à votre disposition à l'entrée de la salle".

"The Fix" © Tom Visser.
"The Fix" © Tom Visser.
Tournée
6 et 7 décembre 2022 : Théâtre Sénart - Scène nationale, Lieusaint (77).
Du 28 février au 4 mars 2023 : TNB, Rennes (35).

Yves Kafka
Lundi 5 Décembre 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024