La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Pour trois sœurs"… L'expérience de l'être cher effacé qui aurait voulu se raconter à deux voix

"Pour trois sœurs", Théâtre de Belleville, Paris

Une ancienne professeure de théâtre, que j'avais eue en cours à la faculté, nous a un jour expliqué que ce qui permettait de distinguer physiquement un personnage d'un autre, c'était tout d'abord sa démarche. Le premier élément de costume qu'il fallait penser était donc les chaussures. Pour cette mise en scène, ces dernières sont effectivement l'accessoire, puis le déguisement de départ.



© David Schaffer.
© David Schaffer.
Trois assises, encore vides, sont présentées sur le plateau : un canapé, un banc et une chaise. À côté de chacune est posée une paire de chaussures de femme. Entre sur scène Agnès Bourgeois qui s'installe sur les "fauteuils" et endosse un personnage différent à tour de rôle. La comédienne commence seule le travail d'interprétation.

Se joignent ensuite à elle, une, puis deux autres femmes. Toutes trois portent une perruque différente et vont se chausser des talons qui se trouvent à leurs pieds. L'adaptation des "Trois sœurs" de Tchekhov peut alors commencer.

Dans "Pour trois sœurs", la volonté d'Agnès Bourgeois semble se manifester par l'élaboration d'un parallèle entre sa propre expérience de perte du parent avec celle exprimée dans la pièce du célèbre dramaturge russe. Le temps de la présentation et celui de la représentation se confondent sur le même espace. La mort du père plane autant sur les figures tchekhoviennes que sur la narratrice.

© DR.
© DR.
Sur le plateau, le père absent occupe une place importante dans la scénographie. Un corps inanimé est étendu sur une table, les pieds pointant vers le plafond, les mains repliées sur la poitrine, évoquant la position des morts dans leurs cercueils. Il monopolise le visuel et l'auditif ; il n'existe plus mais pourtant tout se joue autour de lui.

La construction narrative est très intéressante. L'auteure et metteuse en scène part d'un événement que tout être va se voir expérimenter dans sa vie, la mort d'un parent ou du moins celle d'un proche, et la confronte à la sensibilité de chacun, faisant de cette épreuve un cas à la fois commun et personnel. Ce spectacle peut se faire passer pour une belle métaphore de ce que propose l'art du théâtre, soit partager l'intime, rendre public ce qui est de l'ordre du privé.

La construction scénique suscite, quant à elle, moins d'enthousiasme. La pièce ne reprend pas traits pour traits celle de Tchekhov, elle en est une adaptation ; elle peut donc se permettre une certaine liberté de jeu. Mais les caractères créés par l'auteur russe sont très typés, très reconnaissables dans leurs caractères.

Là, la troupe théâtrale joue de façon extravagante et larmoyante, presque hystérique. Le tableau dressé s'éloigne trop de l'atmosphère pesante et mesurée que l'on retrouve dans l'original. La confrontation des deux textes perd alors de son intérêt. La sur-théâtralisation annihile le principe de compassion. L'émotion prend difficilement…

"Pour trois sœurs"

© DR.
© DR.
D'après : Anton Tchekhov et Agnès Bourgeois.
Mise en scène : Agnès Bourgeois.
Avec : Valérie Blanchon, Agnès Bourgeois, Muranyi Kovacs.
Collaboration artistique : Martine Colcomb.
Lumière : Sébastien Combes.
Son : Frédéric Minière.
Durée : 1 h.

Du mercredi 7 au dimanche 18 mars 2018.
Du mercredi au samedi à 19 h 15, le dimanche à 15 h.
Théâtre de Belleville, Paris 11e, 01 48 06 72 34.
>> theatredebelleville.com

© DR.
© DR.

Ludivine Picot
Vendredi 16 Mars 2018

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
06/03/2024
Spectacle à la Une

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023