La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Les Trois Sœurs"... Extraverties, résolument contemporaines mais dans une impossibilité du présent

"Les Trois Sœurs", Odéon Théâtre de l'Europe, Paris

C'est une maison d'architecte avec ses larges baies d'où jaillissent les mots clic, les mots tics du jour, hashtag Trump et compagnie sur fond de fête, biture et coup de blues. Simon Stone, en réécrivant "Les Trois Sœurs" de Tchekhov, ne fait pas dans la dentelle. Les comédiens vivent au temps présent, le temps béni de la fratrie et des amis réunis, bien à l'abri des murs.



© Thierry Depagne.
© Thierry Depagne.
Du seuil à la chambre ou à la douche, livrés à leur occupations, leurs passions sans s'occuper outre mesure de l'extérieur, au vu et au su de qui les observe. Les allers et venues sont naturelles. Extraverties, résolument contemporaines. Olga, Macha, Irina et le frère André se déchirent inexorablement.

Par un artifice tout théâtral, la maison tourne sur elle-même, créant un effet fascinatoire qui métaphorise le temps qui passe. Tout un chacun qui regarde se trouve ainsi mis dans la position d'un voisin qui voit tout, discerne tout, qui sait tout de la maisonnée. Il devient omniscient, apte à ressentir les intimités, les blessures qui apparaissent, les colères cachées qui ressurgissent parmi les occupants de la maison. Les amertumes qui deviennent aigreurs.

Il devient au fil du temps spectateur de la maisonnée. Et le contenu des échanges devient pour lui objet de curiosité anachronique et de connaissance.

© Thierry Depagne.
© Thierry Depagne.
Sont traités pêle-mêle, dans une banalité du quotidien, les problèmes de la dépendance aux stupéfiants et à l'alcool, les désirs d'émancipation féminine, les stratégies différenciées des trois sœurs pour y parvenir, la sur-présence symbolique des souvenirs familiaux , le poids de la famille.

C'est quelquefois trop appuyé, le langage trop relâché (mais peut-être que les modèles originaux d'aujourd'hui peuvent être pire, soupire le spectateur).

Simon Stone suit la trame de l'œuvre de Tchekhov qui était au moment de sa rédaction, elle aussi, résolument contemporaine et soulevait, déjà, les même problèmes. Dans cette proposition les personnages sont respectés ainsi que l'évolution de leurs caractères. Et prennent dans cette scénographie une forme étonnamment juste.

© Thierry Depagne.
© Thierry Depagne.
Et si les modalités de l'intime et de la conversation diffèrent radicalement d'une pièce à l'autre, c'est bien le même constat qui s'impose à l'issue de la représentation. Il y a les non-dits et les silences des individus plongés dans le divertissement et accrochés à l'image de plus en plus factice d'une union des cœurs.

Il y a la déchirure et la solitude, le sentiment de vide et de fatalité, l'impossibilité du présent dont le médecin et grand auteur Tchekhov a su extirper de la banalité du quotidien les symptômes et que ses successeurs continuent d'explorer.

Le spectateur applaudit cet avatar des trois sœurs.

"Les Trois Sœurs"

© Thierry Depagne.
© Thierry Depagne.
D’après Anton Tchekhov.
Mise en scène : Simon Stone (artiste associé).
Traduction française et assistanat à la mise en scène : Robin Ormond.
Avec : Jean-Baptiste Anoumon, Assaad Bouab, Éric Caravaca, Amira Casar, Servane Ducorps, Eloïse Mignon, Laurent Papot, Frédéric Pierrot, Céline Sallette, Assane Timbo, Thibault Vinçon.
Décor : Lizzie Clachan.
Costumes : Mel Page.
Musique : Stefan Gregory.
Lumière : Cornelius Hunziker.
Collaboratrice aux costumes : Yvett Rotscheid.
Assistant costumes : Yann Cadran.
Répétitions musicales : Mathieu El Fassi.
Durée : 2 h 35, avec un entracte.

© Thierry Depagne.
© Thierry Depagne.
Du 10 novembre au 22 décembre 2017.
Du mardi au samedi à 20 h, le dimanche à 15 h.
Relâche le dimanche 12 novembre.
Odéon Théâtre de l'Europe, Paris 6e, 01 44 85 40 40.
>> theatre-odeon.eu

Jean Grapin
Vendredi 17 Novembre 2017

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024