La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"La Guerre des salamandres", une satire qui fait apparaître l'espèce humaine dans la nudité d'une de ses vérités.

"La Guerre des salamandres", La Maison des Métallos, Paris

Dans "la Guerre des salamandres" du tchèque Karel Čapek, les hommes habitants terrestres de la Terre rencontrent des sauriens occupants de la mer, des salamandres douées d'intelligence. Les hommes sont plongés dans la jouissance d'un monde qu'ils vivent comme un spectacle et un divertissement fournisseurs de richesses.



© Jean-Christophe Bardot.
© Jean-Christophe Bardot.
Les salamandres dociles au plus proche des huîtres perlières sont exploitées et mises au labeur forcé. Robotisés*. Mais les salamandres apprennent vite les méthodes de leurs exploiteurs et avancent silencieusement dans la civilisation, se lancent irrésistiblement à la conquête des continents qu'elles finissent par recouvrir. La planète Terre est devenue leur, la planète Mer.

La fable est transparente. Écrite en 1936, elle met à nu les relations de domination et la toute-puissance présentes dans l'état du monde sous la montée du nazisme. Anticipant également les problèmes écologiques la pièce avance comme un conte presque enfantin, avance dans l'Histoire. Sans heurts, elle devient un récit dans lequel la rage et le rire se mêlent. "La Guerre des salamandres" est une satire qui fait apparaître l'espèce humaine dans la nudité d'une de ses vérités.

Les petits sauriens verts qui hantent les rivages dans la proposition théâtrale de Robin Renucci ne sont jamais montrés. Le metteur en scène suscite leur présence par quelques bruitages et reflets marionnettiques. Mais s'appuyant sur le texte, dans la manière scénique, il guide le spectateur jusque dans les coulisses de l'œuvre et de la représentation. Il accompagne le développement du texte en jouant avec les chromos, les archétypes des années folles, avec le début du journalisme, de la publicité, de la photo, du cinéma, les images des vedettes et financiers oisifs sur leurs yachts…

© Jean-Christophe Bardot.
© Jean-Christophe Bardot.
Et subtilement par les moyens de ce théâtre ostensiblement simple il avance dans la complexité du propos et conduit l'histoire au temps présent. Les citations historiques, la machine théâtrale, le jeu mais aussi le sujet même de la pièce, se fondent dans une mémoire commune, prend une allure prémonitoire.

En ces temps de crise climatique, les résonances avec le monde contemporain sont du coup saisissantes.

Le spectateur s'immerge ainsi dans une fiction, entre en réflexion, s'amuse, se divertit, apprend, comprend. Dans cette proposition, la pièce de théâtre se met en scène. Le théâtre est comme une conscience de soi, intime.

Et le spectateur ressent la possibilité d'une fragilité, d'une inquiétude, la probabilité d'une fin d'un monde qui se dessine et se discerne.

Il comprend qu'une certaine idée d'un progrès continu est révolue. Et qu'il faut penser et agir autrement l'usage des ressources que l'on ne peut plus présupposer comme infinies. Les écolocoptères, les croisiéristes de l'extrême, les jouisseurs de l'ultime qui croient que la Terre n'est qu'un terrain de jeu n'ont qu'à bien se tenir.

* Le mot robot a été créé par les frères Karel et Joseph Čapek dans une autre pièce de théâtre, "R U R". Le mot renvoie à l'état d'êtres vivants assumant le labeur que d'autres ne veulent pas effectuer plutôt qu'à des automates, des artefacts.
L'usage du mot robot préféré à celui d'outil ou de machine révèle un rêve d'asservissement, d'exploitation… "La Guerre des salamandres" illustre parfaitement le point de vue.

"La Guerre des salamandres"

© Jean-Christophe Bardot.
© Jean-Christophe Bardot.
Texte : Karel Čapek.
Mise en scène : Robin Renucci, assisté de Karine Assathiany.
Adaptation : Évelyne Loew, à partir de la précieuse traduction de Claudia Ancelot (1925-1997) parue aux éditions La Baconnière.
Avec : Judith d’Aleazzo, Henri Payet en alternance avec Gilbert Epron, Solenn Goix, Julien Leonelli, Sylvain Méallet, Julien Renon, Chani Sabaty.
Scénographie : Samuel Poncet.
Objets, accessoires animés : Gilbert Epron.
Lumière : Julie-Lola Lanteri-Cravet.
Images : Philippe Montémont et Samuel Poncet.
Conception son et vidéo : Philippe Montémont.
Costumes et perruques : Jean-Bernard Scotto, assisté de Cécilia Delestre et Judith Scotto.
Bruitages : Judith Guittier.
Coach vocal et linguistique : Irène Kudela.
Production Tréteaux de France - Centre dramatique national.
Durée : 1 h 40.
À partir de 10 ans.

Du 17 au 28 octobre 2018
Mardi, mercredi, vendredi à 20 h, jeudi, samedi à 19 h et dimanche à 16 h.
Maison des Métallos, Paris 11e, 01 48 05 88 27.
>> maisondesmetallos.paris

Jean Grapin
Lundi 22 Octobre 2018

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024