La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Après la fin"… L'homme peut être un prédateur pour la femme

"Après la fin", Théâtre national populaire, Villeurbanne

Conséquence d'un préambule d'apocalypse à l'explosion atomique présumée, Mark sauve Louise en la transportant dans un abri. Alors que le chaos semble régner au-delà des murs, dans une nécessité de survivance, une amitié imaginée inébranlable va se désagréger au fil d'un combat pour contrer l'adversité, pour s'imaginer un avenir au détriment de l'autre. Dans ce huis clos à deux souterrain, petit à petit, les enjeux se modifient, faisant apparaître les travers les plus sombres de l'Homme… Alors la question se pose : est-ce un sauvetage ou un enlèvement ?



© Michel Cavalca.
© Michel Cavalca.
"Après la fin" est une pièce étrange de Dennis Kelly dont la manière de traitement, via la mise en scène et l'interprétation, peut mener à des lectures, des approches différentes, portant la prédation comme un acte soit toxique, soit naturel (car vecteur de survie)… Et la soumission comme répit temporaire face à une menace mortelle ? Car c'est bien d'un mécanisme manichéen de possession, qui passera par le viol, dont il s'agit ici, mettant en place un engrenage exacerbant crescendo la tension des rapports entre une femme et un homme.

Sous une prime approche (science) fictionnelle et apocalyptique, la pièce de Kelly aborde le sujet de la tyrannie masculine, de la volonté sexuelle du mâle, du harcèlement physique, de la persécution morale, mais aussi de l'étude de la capacité de résistance d'un otage, de son endurance et de sa réactivité face à des paramètres inconnus. Avec en ligne de fond, de manière plus générale, la violence faite aux femmes.

Tiphaine Rabaud Fournier et Thomas Rortais sont un vrai couple de comédiens, au sens d'intelligence professionnelle. Dans l'écriture tendue et sous tension de Dennis Kelly, naviguant entre cruauté et humour, les répliques se jouent comme une partie de ping-pong, en alternance de violence verbale, de dérision acidulée et de complicité déguisée, du moins à sens unique pour cette dernière, tant l'un devient soumis à l'autre, dans un schéma de domination machiste, hélas bien trop classique.

Le phrasé millimétré s'interprète comme une partition vive et soutenue... Et ils excellent à ce jeu-là, virtuoses aux échanges nerveux et aux postures qui, souvent, créent le malaise… bien au-delà des passages anxiogènes voulus par l'auteur.

Leur travail d'acteur, leur connivence, leur training effectué en amont de la création et chaque jour durant les représentations, apportent un vrai supplément de densité, d'intensité à la pièce, usant de plus des variations tonales nécessaires, maîtrisés mais résolument expressives. Le tout est augmenté par la mise en scène quasi chorégraphique de Baptiste Guiton. Celui-ci ose une utilisation de l'espace tant horizontale que verticale, tant aérienne que terrienne (souterraine dirions-nous ici).

Les choix opérés par Baptiste Guiton et ses interprètes amènent, après une année 2018 placée sous les signes des hashtags "#Metoo" et "#BalanceTonPorc" (dès octobre 2017), à une lecture se focalisant (pour nous) sur le rapport relationnel perverti entre homme et femme (mais aussi entre otage et geôlier avec une esquisse intéressante, à la fin de la pièce, du syndrome de Stockholm), sur la précarité féminine générée par la prédation et ses extrémismes dont "l'acquisition sexuelle" de l'objet femme et/ou ses représentations, toujours en vigueur aujourd'hui.

Bien sûr, "après la fin" est une fiction que le théâtre nous donne à voir sous des angles multiples et différents, où pointe autant des répliques comiques que des situations dramatiques… Mais la trame reste tissée de questionnements fondamentaux sur la place de chacun dans une société encore beaucoup trop machiste, de la gestion des genres et des pratiques sexuelles. Ce travail de Baptiste Guiton se doit d'être vu, notamment - sans hésitation - par les adolescents dont les futures prises de conscience seront fondatrices d'une égalité homme-femme encore plus affirmée.

"Après la fin"

© Michel Cavalca.
© Michel Cavalca.
Texte : Dennis Kelly.
Mise en scène : Baptiste Guiton.
Texte français : Pearl Manifold et Olivier Werner.
Avec : Tiphaine Rabaud Fournier et Thomas Rortais.
Scénographie et accessoires : Quentin Lugnier.
Lumières : Julien Louisgrand.
Costumes et accessoires : Aude Desigaux.
Création sonore : Sébastien Quencez.
Durée : 1 h 25.
Résidence de création.
Production L'Exalté, direction Baptiste Guiton.
Coproduction La Machinerie - Théâtre de Vénissieux et Théâtre National Populaire.
"Après la fin" est publié et représenté par L’Arche, Éditeur et agence théâtrale.

Du 29 janvier au 21 février 2019.
Du mardi au samedi à 20 h 30, sauf le jeudi à 20 h, dimanche à 16 h.
TNP Villeurbanne, Grand théâtre, salle Jean-Vilar, 04 78 03 30 00.
>> tnp-villeurbanne.com

Gil Chauveau
Mercredi 13 Février 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024