La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Caubère et Ferdinand… ou la magie du temps retrouvé…

"Adieu Ferdinand", Athénée Théâtre Louis-Jouvet, Paris

Dans "Adieu Ferdinand", Philippe Caubère donne encore chair (pour la dernière fois, dit-il) à un jeune homme né littérairement et à l'impromptu il y a 37 ans. Il a pour nom Ferdinand Faure. Qui est devenu comédien au tout début des années soixante-dix et a pris son indépendance.



© Michèle Laurent.
© Michèle Laurent.
Sa personnalité avance de manière chaotique. Sa sexualité en bandoulière, ses livres dans sa besace. Pris en flagrant délit de cabotinage, en rupture d'avec sa maîtresse en scène, Ariane Mnouchkine.

Des allusions à la véritable carrière du comédien Philippe Caubère jalonnent les trois épisodes qui constituent le spectacle. Il n'est pas nécessaire de repérer les temps de "l'âge d'or", de "Lorenzaccio", des "Trois sœurs" pour goûter son plaisir. Ferdinand est un double du comédien qui décrit sa propre jeunesse comme à travers un roman d'apprentissage. À sa manière. Pleine de verve, un tantinet rouée.

De la Provence natale au bois de Vincennes, de Paris-Avignon aux plages de l'ouest, à la montée au casino de Namur dans les champs de betterave du Nord, le comédien pousse trois contes, pose les jalons d'un périple. Ferdinand par les anecdotes, les choses vues, découvre et expérimente, en provocateur inconscient, approfondit, en comédien scrupuleux, les pulsions les plus grossières, les raccourcis de pensée et les outrances du monde, les bizarreries des autres qui résonnent en lui. Bête et niais en somme.

© Michèle Laurent.
© Michèle Laurent.
Immature et curieux en toutes choses, tel se présente Ferdinand en butte avec ses démons, évitant d'en être la marionnette. Menacé par une beaufitude collante, le personnage s'immerge heureusement dans l'harmonie de la littérature. Ses lectures, ses découvertes irriguent le cours de la vie quotidienne. Melville , Oum Kalthoum, Proust, Dostoiëvski, Musset, Hugo, Tchékhov, Flaubert contrebattent les tendances lourdes d'une vie.

À chaque épisode, le spectateur est happé par une manière de raconter, de faire confidence extravagante. Découvre des Bidochons en folie. Le personnage vit un méli-mélo qui se transmute en mélodrame joyeux, en épopée picaresque qui conte fleurette aux Thénardiers.

Il est de ces vieux copains qui ont le bagout, qui tiennent la parole et savent les bonnes histoires. C'est inracontable mais on en pleure de rire. Il y a l'enchevêtrement des rôles et des situations, la manière de raconter et de jouer tout. Instantanément. Sous les éclats de rires francs, clairs et spontanés, "Adieu Ferdinand" illustre les scènes de la vie d'un propre à rien.

© Michèle Laurent.
© Michèle Laurent.
C'est un couillon magnifique qui donne à voir par le petit bout de la lorgnette tout un art du comédien. Qui pour la préparation de ses rôles intègre, dans le jeu, dans un chaos de l'esprit critique, invisibles et structurantes, toutes les outrances… Et les sublime de manière shakespearienne. Être ou ne pas être. Magie du théâtre, comme avers et revers d'une même médaille, Caubère et Ferdinand fusionnent en une seule réalité de la scène.

Au bout du voyage, au bout de la nuit : la représentation du comédien. Philippe Caubère, "dit Ferdinand", dans un salut de gloire remercie le public sous les ovations. Mine de rien. Comme s'il lui semblait que c'était lui-même ce dont parlait l'ouvrage. "Adieu Ferdinand" ou le temps retrouvé.

"Adieu Ferdinand !"

© Michèle Laurent.
© Michèle Laurent.
"La Baleine" et "Le Camp naturiste",
deux contes écrits, mis en scène et joués par Philippe Caubère.
Après avoir été improvisés 34 ans plus tôt devant la caméra de Pascal Caubère ;
et les regards de Clémence Massart et Véronique Coquet.
Assistant à l'écriture : Roger Goffinet.
Lumière : Claire Charliot.
Son : Mathieu Faedda.
La Comédie Nouvelle.

"Adieu Ferdinand !" création 2017.
Trois contes en deux soirées spectacles jouées en alternance :
- première soirée : "Clémence" ("La Baleine" et "Le Camp naturiste") ;
- deuxième soirée : "Le Casino de Namur" ("Les Pétrieux").

© Michèle Laurent.
© Michèle Laurent.
Du 2 décembre 2017 au 12 janvier 2018.
Clémence (La Baleine & Le Camp naturiste).
2 h 15 sans entracte.
Du 5 décembre 2017 au 14 janvier 2018.
Le Casino de Namur (Les Pétrieux).
1 h 30 sans entracte.
En alternance, mardi à 19 h, mercredi, vendredi, samedi à 20 h, dimanche à 16 h ou 20 h.
Athénée Théâtre Louis -Jouvet, Grande Salle, Paris 9e, 01 53 05 19 19.
>> athenee-theatre.com

Pour ceux qui s'intéressent à l'histoire de Ferdinand Faure, Philippe Caubère a repris en 2016 le premier spectacle (ô combien mythique), créé en 1981 à la Condition des soies à Avignon, dans lequel apparaît pour la première fois le personnage de Ferdinand. Intitulé "La Danse du diable", cette prestation, filmée par Bernard Dartigues, est éditée, diffusée sous forme de DVD par Malavida.

● DVD Philippe Caubère "La Danse du diable".
Distribution : Malavida Films.
Sortie : 18 décembre.
contact@malavidafilms.com
>> malavidafilms.com

Jean Grapin
Mercredi 6 Décembre 2017

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024