La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Les "Fourberies..." par Laurent Brethome révèlent la profonde violence des rapports sociaux... cruellement actuelle !

"Les Fourberies de Scapin", en tournée

L'homme est à l'aise dans les milieux interlopes. Rusé, connu pour ses roueries, ses inventions de très jolies farces d'escroqueries, ses larcins. Scapin, car c'est de lui qu'il s'agit, hante les quais du port de commerce. Il est loué, sollicité pour ses talents…



© Philippe Bertheau.
© Philippe Bertheau.
Bien que poursuivi par la police, l'homme ne résiste pas, pour une fois, une dernière fois, pour le bien de l'humanité, d'aider les amours contrariées de deux jeunes fils de famille un peu oisifs, un peu crétins, accablés de pères autoritaires tellement avares, violents, imbéciles qu'il trouve des complicités enthousiastes dans le petit monde des journaliers, valets et… des spectateurs.

La pièce de Molière* est une quintessence théâtrale à base d'inventions de situations, d'amplification des dialogues à effets comiques. Scapin est maitre de la parole.

Laurent Brethome déplace l'action du port grouillant de Naples du XVIIe siècle à un quai pour conteneurs d'une Europe du nord des plus contemporaines. Avec ses cortèges d'ombres louches. Clandestins, trafiquants, drogués. Des fils et filles de… dandys attardés et décalés de Camden town qui s'y faufilent.

© Philippe Bertheau.
© Philippe Bertheau.
Le réalisme de cette proposition est tempéré par une imagerie adolescente.

Les dialogues, les actions enclenchent une gestique expressive et très contemporaine. Le spectateur discerne des ferments de "Give me five de mecs qui se font leur cinéma". C'est une métamorphose des lazzis traditionnels qui se fait avec une telle évidence que le public reconnait spontanément les complicités naturelles. Par cet effet les dialogues rebondissent, le jeu multiplie les clins d'œil, les allusions, les doubles sens. La farce dénuée de toute facilité, vulgarité ou démagogie développe en toute rigueur et plaisir de jeu.

C'est irréprochable, d'une drôlerie irrésistible et la mémoire du spectateur se souvient du tempérament napolitain de Hyacinthe au flingue trop lourd pour elle, des bégaiements de Léandre, du fils rocker dont on se demande bien quelle en est la cause entre la bonbonne qu'il transporte et la dureté de son père qu'il affronte.

Mais aussi la scène de la galère qui, de turcs en galères, n'en finit pas de s'amplifier. Et la danse gitane de Zerbinette dont le récit bavard de la farce qu'elle fait au farci lui-même provoque de sa part un fou rire plus vrai que nature.

© Philippe Bertheau.
© Philippe Bertheau.
Et puis les adresses au public de Scapin et ses dédoublements pleins de raison et de folies alternées.

Enfin la bastonnade de Géronte époustouflante qui, sous le rire, atteint une telle violence de baston que le centre de gravité de la pièce se déplace vers le drame et l'ambiguïté d'une fin tragique.

La mise en scène des "Fourberies de Scapin" est vive, rythmée, profondément respectueuse du texte et du registre de jeu de comédie. Elle dévoile son caractère insolent et critique de l'ordre établi. C'est que sous le rire et la pantalonnade se lit la profonde violence des rapports sociaux au sein de la famille et entre les maitres et les serviteurs. La pièce apparait comme régénérée et Laurent Brethome crée à l'occasion de cette mise en scène des types populaires à la gravité exemplaire.

Le spectateur adore.

*Inspirée par Térence et Cyrano de Bergerac.

"Les Fourberies de Scapin"

© Philippe Bertheau.
© Philippe Bertheau.
Texte : Molière.
Mise en scène : Laurent Brethome.
Assistante à la mise en scène : Anne-Lise Redais.
Cie Le menteur volontaire.
Avec : Cécile Bournay (Zerbinette, fille d'Argante), Morgane Arbez (Hyacinte, fille de Géronte), Florian Bardet (Octave, fils d'Argante), Thierry Jolivet (Léandre, fils de Géronte), Philippe Sire (Argante), Benoit Guibert (Géronte), Jérémy Lopez (Scapin), Yann Garnier (Sylvestre).
Création et interprétation musicales : Jean-Baptiste Cognet.
Dramaturgie : Daniel Hanivel.
Regard bienveillant : Catherine Ailloud-Nicolas.
Scénographie : Gabriel Burnod.
Lumière : David Debrinay.
Costumes : Julie Lacaille.
Conseils chorégraphiques : Éric Lafosse.
Conseils acrobaties : Thomas Sénécaille.
Création maquillage : Emma Fernandez.

© Philippe Bertheau.
© Philippe Bertheau.
A été joué du 6 au 15 novembre 2014 au Théâtre Jean Arp - Scène conventionnée, Clamart (92).
Tournée
Du 18 au 23 novembre 2014 : Le Grand T - Théâtre de Loire Atlantique, Nantes (44).
25 et 26 novembre 2014 : Théâtre - Scène conventionnée, Laval (53).
27 au 29 novembre 2014 : Scènes de Pays dans les Mauges - Scène conventionnée, Beaupréau (49).
2 et 3 décembre 2014 : Théâtre - Scène conventionnée, Villefranche-sur-Saône (69).
8, 9 et 10 décembre 2014 : Espace Malraux - Scène nationale de Chambéry et de la Savoie, Chambéry (73).
11 décembre 2014 : Théâtre, Roanne (42).
12 décembre 2014 : Le Toboggan, Décines-Charpieu (69).
16 au 20 décembre 2014 : Théâtre Sorano - Jules Julien, Toulouse (31).

Jean Grapin
Mardi 18 Novembre 2014

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024