La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Rose, anti-héroïne anonyme et femme libre... malgré tout

"Rose", La Pépinière Théâtre, Paris

Véritable épopée miniature, Rose nous entraîne de son Shtetl en Russie à Miami Beach, en passant par les années noires du ghetto de Varsovie, sa fuite à bord de l’Exodus, la création de l’état d’Israël, la réussite du rêve américain et le conflit actuel du Moyen-Orient. Le récit intime et plein d’humour d’une femme juive qui porte un regard affectueux mais lucide sur son peuple, un texte fort et terriblement ancré dans l’actualité qui dénonce les meurtres commis au nom de la Nation quelle qu’elle soit et refuse tout parti pris simpliste.



Judith Magre © Agence Bestimage.
Judith Magre © Agence Bestimage.
Que dire ?... On ne peut qu’être fasciné par cette destinée incroyable d’un romanesque fou. Rose est une anti-héroïne anonyme et, d’abord et surtout, une femme. Une femme qui a côtoyé le pire avant de connaître des meilleurs. Ce qui frappe dans le récit, scrupuleusement chronologique, que nous brosse une Judith Magre totalement incarnée en Rose, c’est le recul qu’elle y met.

Rose est née en 1920 en Russie (dans l’actuelle Ukraine) et elle va se retrouver mêlée malgré elle aux bouleversements que vont connaître l’Europe et le monde au milieu du XXe siècle. Rose est totalement banale. Rien ne la prédestinait à connaître un tel parcours plein de bruit et de fureur. Rien ne l’y avait préparée. Il faut l’écouter parler de ses parents et, partant, de son enfance. Elle y met une telle drôlerie ! D’ailleurs, tout du long du spectacle, pratiquement tout sera analysé à travers le prisme de l’humour. En dépit des tragédies qui vont jalonner son existence, elle garde une authentique distance. C’est vraisemblablement ce qui lui a permis inconsciemment de se protéger et de survivre.

Judith Magre © Agence Bestimage.
Judith Magre © Agence Bestimage.
Car Rose est une survivante. Elle n’est en aucun cas une battante. Elle s’est comportée un peu comme un bouchon qui se laisse emporter par le torrent impétueux de l’horreur absolue et qui flotte jusqu’à atteindre des rivages plus accueillants. On a l’impression que son cerveau s’est mis de lui-même en veille, atténuant ainsi les terribles drames qui allaient la frapper. Du coup, sa description des événements est en permanence décalée. Elle ne sombre jamais dans le pathos ; et encore moins dans la haine. Elle constate, analyse et elle passe à autre chose. De toute façon, le courant l’emmène toujours ailleurs. C’est un bouchon, vous dis-je… Même ses amours, qu’elle décrit à la fois avec espièglerie et un réalisme cru, elle ne les a jamais choisies. Ce n’est guère que dans le dernier tiers de sa vie qu’elle va prendre son destin en main. Bien qu’elle semble toutefois s’excuser de réussir soudain en affaires et de connaître la réussite.

Rose est une vraie modeste. Elle ne réalise même pas quelle force de caractère elle a dû avoir pour s’en sortir. Tout en subissant les événements, elle n’a jamais été dupe de rien. Son sens critique ne l’a jamais abandonnée. Sa nature viscéralement moqueuse et irrespectueuse lui a permis d’échapper à tout fanatisme et à tout endoctrinement, faisant d’elle une femme libre. Libre malgré tout.

Pour nous présenter Rose et nous la faire aimer, il y a Judith Magre. Avec son jeu tout en finesse, son air mutin, elle nous embarque avec légèreté dans quatre-vingts ans d’histoire. Elle est magnifique. À quatre-vingt-cinq ans (elle en fait trente de moins !), elle dégage un charme et un pouvoir de séduction invraisemblable. C’est une grande dame qui s’est mise au service d’un grand personnage pour nous offrir un grand moment de comédie.

"Rose"

Texte : Martin Sherman.
Traduction : Perrine Moran et Laurent Sillan.
Mise en scène : Thierry Harcourt.
Collaboratrice artistique : Stéphanie Froeliger.
Avec : Judith Magre.
Scénographie et costumes : Patricia Rabourdin.
Musique : Éric Slabiak.

Spectacle à partir du 10 janvier 2012.
Du mardi au samedi à 19 h, dimanche à 15 h.
La Pépinière Théâtre, Paris 2e, 01 42 61 44 16.
>> theatrelapepiniere.com

Article publié en partenariat avec >> critikator

Gilbert Jouin
Lundi 6 Février 2012

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024