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Théâtre

"Contes et légendes" Sous nos yeux un avatar contemporain du mythe de Galatée

Dans "Contes et légendes", Joël Pommerat part à la poursuite des avatars du bon vieux robot redevenu contemporain, actuel, mignon, androgyne comme il se doit, Kawaii, et fait comme s'il était déjà entré dans la vie quotidienne, épicentre de toutes les préoccupations… Avec beaucoup d'humour, un peu d'acidité et beaucoup de tendresse, la scène se présente comme un laboratoire d'éthologie. Une expérience théâtrale qui plonge le public dans un état de profond ébahissement.



© Elizabeth Carecchio.
© Elizabeth Carecchio.
Quand le virtuel se concrétise… et retravaille les mythes.
En virtuoses de l'art théâtral, dans les traditions du magicien et du travestissement, Joël Pommerat et sa troupe traquent les effets sur les êtres de ce robot beau comme une star faisant irruption dans le salon… Programmable ET adaptable. Docile et lisse. Un objet transitionnel attentif et bienveillant. Ôtant tous les soucis, déchargeant de tous les tracas. Au service… pour satisfaire les besoins, les désirs… comme on dit…

Le spectateur voit en direct comment ce robot objet de tous les rêves bouleverse les rapports entre hommes et femmes, enfants et parents, enfants entre eux qui veulent, par le biais de ce tiers entré dans les familles, garder intacts tous les possibles, et ne voulant pas grandir, multiplient les crises d'adulescence.

Les cadets à l'imitation des ainés, à l'imitation des parents, enfants de la meute, à l'imitation du spectacle du monde, des télé-réalités, des téléportations d'avatars, le spectacle montre une réalité comme écartelée dans un état de conjuration, d'insurrection, d'instabilité permanente. Où la trouille de l'autre fait obstacle au désir d'intimités confiantes. Où, dans la contradiction des désirs, la propagation de la peur de l'autre est conjurée par le mimétisme généralisé. Asservissement et émancipation. Exigence de confession et besoin de confidences. Ordres et désordres, Ordre et Harmonie entre mêlés.

© Elizabeth Carecchio.
© Elizabeth Carecchio.
Le spectacle tient l'équilibre entre la fiction et la réalité, joue de l'ambiguïté des signes, se faufile dans les interstices de la conscience, entre rêves des uns et réalités des autres. Et ce faisant tord le cou aux évidences, diffuse le mystère du réel, sème le doute sur l'illusion elle-même.

C'est qu'il existe dans l'esthétique, le jeu, l'expression, dans le comportement, dans les mots, les postures, quelque chose… Oh ! Un presque rien. De trop, une surenchère… Un écart infime, une inclination à rapporter le différent au même, dans un effet de miroir, un effet d'amplification générant un trouble, une difficulté à discerner le vrai du faux, le théâtre de la réalité, le réel du fantasme.

Porté par une esthétique et un jeu irréprochables, le spectacle réussit à inverser les propositions. Les robots sont plus qu'humains dans leurs hésitations, leurs lenteurs. Comme des pudeurs. Les humains, eux, apparaissent comme des clones sauvages. En voie de robotisation.

À cet égard, une scène est d'anthologie. À cour, au lointain, un jeune, enthousiaste, singe le robot formaté adapté à son image. Simultanément, en miroir, à jardin, à l'avant-scène, un couple sur un canapé dépasse les stéréotypes et préjugés liés au travestissement et s'engage dans les voies de l'amour.

© Elizabeth Carecchio.
© Elizabeth Carecchio.
Le spectacle est une délectation de théâtre satirique et tendre. Un théâtre qui ose aborder les problématiques de l'éducation, de l'apprentissage et de la pédagogie face au dressage et au formatage. Un théâtre en pleine maturité qui porte l'interrogation sur le fait théâtral lui-même, sur l'identité de l'acteur et le paradoxe du comédien et propose un baume pour guérir les maux de l'époque, une panacée bien connue, le vouloir croire au théâtre.

Cette manière d'être ensemble pour recevoir l'illusion et l'expérience du partage avec autrui du rire, du plaisir et de la connaissance. Cet usage du conte et de la légende revêtant à chaque fois des habits neufs.

À chaque instant, capté de bout en bout, le spectateur est tenté de dire à son voisin : "pincez-moi, je rêve" et tout à la fin devenu "Le Public Qui Ovationne" entend cet appel venu de la scène : "viens, mais ne viens pas quand je serai seul. Tous les deux on se connaît déjà. On s'est vu de près souviens-toi".

En faisant vivre sous nos yeux un avatar contemporain du mythe de Galatée, la troupe, par sa prestation éblouissante, affirme la force du Théâtre et renvoie le robot (le vrai… qui est dans l'air du temps, qui n'est jamais sur scène) à sa triste réalité d'automate (seul un être vivant est sur scène).

"Contes et légendes"

© Elizabeth Carecchio.
© Elizabeth Carecchio.
Une création théâtrale de Joël Pommerat.
Assistante à la mise en scène : Roxane Isnard.
Avec : Prescillia Amany Kouamé, Jean-Edouard Bodziak, Elsa Bouchain, Lena Dia, Angélique Flaugère, Lucie Grunstein, Lucie Guien, Marion Levesque, Angeline Pelandakis, Mélanie Prezelin.
Scénographie et lumière : Éric Soyer.
Costumes et recherches visuelles : Isabelle Deffin.
Habillage - Création : Tifenn Morvan, Karelle Durand, Lise Crétiaux.
Création perruques et maquillage : Julie Poulain.
Son : François Leymarie, Philippe Perrin.
Création musicale : Antonin Leymarie.
Dramaturgie : Marion Boudier.
Renfort dramaturgie : Élodie Muselle.
Assistante observatrice : Daniely Francisque.
Renfort assistant : Axel Cuisin, Lucie Trotta.
Direction technique : Emmanuel Abate.
Production Compagnie Louis Brouillard.
Durée : 1 h 50.

A été joué du 9 janvier au 16 février 2020 dans la Salle transformable de Nanterre-Amandiers - CDN à Nanterre (92).

Tournée

© Elizabeth Carecchio.
© Elizabeth Carecchio.
Du 3 au 7 mars 2020 : Théâtre Olympia, Tours (37).
Du 13 au 20 mars 2020 : Théâtre de la Cité - CDN Toulouse-Occitanie, Toulouse (31).
26 et 27 mars 2020 : Espace Jean Legendre, Compiègne (60).
2 et 3 avril 2020 : CDN, Orléans (45).
Du 8 au 10 avril 2020 : La Comédie - Scène nationale, Clermont-Ferrand (63).
28 et 29 avril 2020 : Le Phénix - Scène nationale, Valenciennes (59).
5 et 6 mai 2020 : L'Estive - Scène nationale de Foix et de l'Ariège, Foix (09).
Du 13 au 17 mai 2020 : La Criée - Théâtre national, Marseille (13).
Du 27 au 29 mai 2020 : Châteauvallon - Scène nationale, Ollioules (83).
Du 3 au 5 juin : Printemps des comédiens, Montpellier (34).
Du 9 au 13 juin 2020 : Scène nationale, Grenoble (38).
Du 19 au 21 juin 2020 : Festival d'Anjou - Grand Théâtre, Angers (49).
Du 8 septembre au 10 octobre 2020 : Théâtre des Bouffes du Nord, Paris.

Jean Grapin
Mardi 18 Février 2020

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© Jean-François Delon.
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© Pics.
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C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

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© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023