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Théâtre

"Passeport"… À bas le racisme !

Pour sa dernière création théâtrale, Alexis Michalik traite de l'identité en abordant le racisme au travers de ses reniements, raccourcis et contradictions. Avec, entre autres, les personnages d'Issa, venu d'Érythrée, et de Lucas, né à Mayotte, c'est toute la question de l'appartenance et de l'acceptation de soi et de l'autre qui est posée dans un cadre géographique qui aurait pu donner lieu toutefois à beaucoup plus de véracité.



© Alejandro Guerrero.
© Alejandro Guerrero.
Plongée dans une fable théâtrale où le décor est la jungle de Calais avec, entre autres, Issa (Jean-Louis Garçon), venu d'Érythrée. De l'autre, Lucas (Christopher Bayemi), gendarme noir, né à Mayotte et adopté par un couple blanc de la métropole. Tous les ingrédients des identités croisées sont présents avec en trame de fond un racisme larvé autour d'eux, sans jamais être assumé, sa spécificité étant d'être refoulé par celui qui le porte.

La fable se déroule à différents endroits. De la jungle de Calais, on se retrouve à Paris sous un pont, dans un petit logis, une bibliothèque ou dans les cuisines d'un restaurant. Par son thème et son lieu, la pièce est politique bien que l'humour s'immisce souvent et à différentes reprises.

Comme à son habitude, Michalik mélange les caractères et les situations. Le temps est bousculé pour faire coller la disparition du gendarme Lucas à celle d'une renaissance d'un migrant érythréen, Issa. Celui-ci, victime d'un traumatisme, a perdu la mémoire. Il est obligé de réapprendre l'histoire et la géographie, ainsi que les us et coutumes de son pays, et d'imaginer le périple qu'il a vécu pour arriver à Calais afin de convaincre l'administration française de l'obtention de son passeport.

© Alejandro Guerrero.
© Alejandro Guerrero.
On bascule ainsi dans une vue ironique de la situation dans laquelle un migrant est dans l'obligation de réinventer ce qu'il est. Michalik montre que chaque être est déterminé essentiellement par ce qu'il fait et non uniquement par sa provenance. Lucas, en tant que gendarme, fait preuve au début d'une tolérance des migrants. Puis il bascule vers une violence à leur égard pour ensuite en incarner un afin de retrouver ce qui bat profondément en lui, à savoir son rapport avec Mayotte, et qui fait souche avec sa nationalité française.

Le recensement de différents démographes et historiens de l'immigration évalue, en 2020, selon les différents travaux effectués à ce sujet, une moyenne d'un peu plus de 21 % de Français ayant une origine étrangère sur deux générations.

Lucas représente l'ordre afin de réguler l'immigration tout en étant perçu comme un étranger par son collègue. Il est le précipité de tous ses éléments composites et disparates. L'exclusion et ce qui peut rattacher une personne à ses origines, dans sa perception autant intérieure qu'extérieure, sont posés et Michalik montre très bien le racisme ordinaire.

© Alejandro Guerrero.
© Alejandro Guerrero.
C'est dans ce contexte dramaturgique que se situe Lucas, notre jeune Mayotte, considéré "uniquement français" par son père adoptif, comme il aime le rappeler, pour lui en dénier toute différence comme si l'essence "française" existait par elle-même sans l'once d'une histoire, d'un vécu et d'une provenance qui pourrait être, entre autres, basque, bretonne, gasconne, parisienne, maghrébine, orientale, malgache, asiatique, d'Afrique Noire ou mahoraise. L'essence précède l'existence pour ce père adoptif, pour inverser le célèbre aphorisme de Sartre (1905-1980).

Toutefois, le cadre ne se prête pas réellement à la jungle de Calais. On ne la reconnaît ni par l'atmosphère, ni par ses éléments contextuels tels que ses conditions très difficiles d'existence. De même, les protagonistes ne sont pas barométriques d'une réalité de terrain. La souffrance dans "Passeport" apparaît par intermittence. La violence, même si elle apparaît de façon furtive, est peu convaincante. Elle est ensuite quelque peu occultée par l'amour et la réussite d'Issa qui a fini par tomber amoureux et ouvrir un restaurant. Ce parti pris dramaturgique finit par occulter la réalité d'une détresse sociale des migrants, car elle est souvent vue par le biais de l'humour.

© Alejandro Guerrero.
© Alejandro Guerrero.
Il y a de très belles scènes comme cette discussion tendue finissant en tirade de Jeanne (Manda Touré), petite amie noire de Lucas, bousculant les raccourcis et préjugés racistes de Michel (Patrick Blandin), le père adoptif de Lucas, lors d'un dîner.

Le cadre se veut réaliste et, pourtant, les racines de l'histoire prennent leur source via un autre affluent. L'écheveau construit par Michalik aurait trouvé toute sa pertinence dans un autre lieu avec les mêmes personnages. Le cadenas de la pièce aurait, peut-être, gagné plus en profondeur avec une scénographie beaucoup plus proche du terrain. Ou alors, traiter réellement la jungle de Calais en la déclinant comme un personnage, elle qui a fait l'actualité politique en France pendant de longues années avec un ramassis de raccourcis et une récupération sans vergogne des politiques à son sujet.

Celle-ci résonne de trop de combats associatifs généreux ou de discours d'extrême droite, de poncifs et de perceptions négatives pour qu'elle puisse n'être qu'une pâle et très timide représentation scénographique.

"Passeport"

© Alejandro Guerrero.
© Alejandro Guerrero.
Auteur et metteur en scène : Alexis Michalik.
Assistante mise en scène : Clotilde Daniault.
Avec : Christopher Bayemi ou Clyde Yeguete, Patrick Blandin ou Marc Fayet, Jean-Louis Garçon ou Ibrahima Ba, Kevin Razy ou Kinsley Camachee, Fayçal Safi ou Idir Chender, Manda Touré ou Brenda Broohm, Ysmahane Yaqini ou Nouritza Emmanuelian.
Musiques : Sly Johnson.
Décor : Juliette Azzopardi, assistée d'Arnaud de Segonzac.
Accessoires : Pauline Gallot.
Costumes : Marion Rebmann, assistée de Violaine de Maupeou.
Vidéo : Nathalie Cabrol.
Assistant vidéo : Jérémy Secco.
Lumières : François Leneveu.
Sons : Julius Tessarech.

© Alejandro Guerrero.
© Alejandro Guerrero.
Du 20 août 2024 au 5 janvier 2025.
Du mardi au vendredi à 21 h, samedi à 16 h 30 et 21 h, dimanche à 17 h sauf les diamches 24 novembre, 8 et 15 décembre à 16 h. Exceptionnellement le lundi 30 décembre à 21 h.
Théâtre de la Renaissance, Paris 10e, 01 42 08 18 50.
>> theatredelarenaissance.com

Safidin Alouache
Mercredi 21 Août 2024

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