La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Gais, gays... Les 2 G, artistes de music-hall... pétillants et déjantés

"Les 2 G, artistes de music-hall", Théâtre du Petit Saint-Martin, Paris

C'est salé, c'est épicé, un cocktail d'humour osé, croustillant - mais sans aucune vulgarité -, d'une grande fraîcheur et bourré d’autodérision, c'est du cabaret... celui de la grande époque du Music-Hall, mené par deux compères aux talents pétillants, effervescents comme des rires spontanés et salvateurs. C'est frondeur et iconoclaste, sans barrière, sans préjugés et diablement salutaire à l'heure où la raison se bat pour donner à tous les mêmes droits !



© Christophe Haesevoets.
© Christophe Haesevoets.
Ah ! Le bon temps du Music-Hall, celui de papa, celui de Mistinguett, des Cinglés de Jean-Christophe Averty, de Fréhel, Dranem, Suzy Solidor, insouciant, jovial et heureux qui rendait les gens joyeux. Chansons de chansonniers, chansons d'amour, caricatures ou grivoiseries bon enfant, numéros de cirque ou de magie virtuoses ou improbables, tel était le cocktail de ces grandes années où le "rire ensemble" était encore le remède inoffensif mais efficace prisé par le peuple de l'entre-deux-guerres.

C'est tout cela que rassemblent et nous offrent Jean-Luc Revol et Denis D'Arcangelo dans leur nouveau spectacle "Les 2 G". Nos deux artistes de music-hall - complices de longue date* -, fidèles à leur univers artistique, se donnent la réplique et la chansonnette en y ajoutant les épices propres au versant gay de la belle époque... le faisant jaillir en un feu d'artifice... régénérateur, tant pour le spectateur que pour eux-mêmes à en voir le plaisir évident voire jubilatoire qu'ils mettent à leur ouvrage.

© Christophe Haesevoets.
© Christophe Haesevoets.
En mettant sous les feux de la rampe - scintillant sur les indispensables rideaux pailletés - le retour sur scène d'un vieux couple d'artistes en queue-de-pie, Georges et Gaétan, gais duettistes gays, fort de plus de quarante ans de carrière et sans aucun doute "docteurs ès music-hall", Jean-Luc Revol (Gaétan) et Denis D'Arcangelo (Georges) parcourent à leur manière l'histoire du Music-Hall et en ressuscitent une certaine idée - qui n'aurait pas déplu à l'androgyne Charpini et son compère pianiste Brancato - faite d'impertinence, d'humour ravageur et décomplexé, sans préjugés et sans (trop de !) pudeur.

Pour cela, ils ont bien sûr fait appel aux chansons écrites et créées avant ou pendant la Grande Guerre comme notamment le poivré "En revenant du Maroc" interprétée à l'origine par Dranem (1869-1935) ou le délirant "Petit loulou de Poméranie", chanson créée par Gaston Gabaroche (1884-1961) aux Deux Ânes. Mais, souhaitant respecter la grande tradition du cabaret, ils ont demandé à des auteurs contemporains de leur écrire de nouveaux duos. Le premier d'ailleurs qui s'y colla fut sans doute Jean-Luc Revol lui-même avec sa "Chanson introductive" qui ouvre le spectacle.

Se suivent, dans le désordre, de véritables petits bijoux originaux respectant les lois du genre : "Yvonne et Pierre" (ou "Georges et Gaétan") de François Morel, "Ces chanteurs qui n'aiment pas les femmes" de Pierre Philippe, "Le sort des hommes..." de Pierre Notte, "Hymne à Tintin" de Pascal Mary, "Il était intimidé" de Vincent Telly, etc. Et, comme il se doit, ils sont accompagnés sur scène au piano par le talentueux Patrick Laviosa, spécialiste du théâtre musical (notamment au côté de Roger Louret ou au sein du groupe vocal Cinq de Cœur) et, à l'accordéon, par Sébastien Mesnil, dit le "Zèbre", compagnon de route depuis plusieurs années des spectacles de Denis D'Arcangelo.

Fidèle à la structure d'un show de music-hall, l'ensemble est ponctué de fantaisies burlesques, souvent délirantes, parfois plus ou moins maîtrisées, faites avec rien ou pas grand chose (fidèle en cela aux petits budgets attribués à l'époque à ce type de numéros) mais toujours d'un comique irrésistible comme le mémorable numéro de ventriloquie réversible, l'improbable tentative de sculpture de ballons, la joyeuse et décalée imitation de Pierre et Marie Curie découvrant le radium ou l'audacieux numéro de funambule de Brutus, le poux pubien !

© Christophe Haesevoets.
© Christophe Haesevoets.
Ce superbe répertoire, admirablement chorégraphié par Caroline Roelands, et entrecoupé des intermezzos précédemment cités, prend aussi toute sa dimension grâce à l'intelligente et précise mise en scène d'Agnès Boury. La chorégraphie et la mise en espace donne une réelle cohésion à l'ensemble, dont l'ingénieuse sobriété rend invisible aux yeux des spectateurs la grande rigueur professionnel du spectacle (obligatoirement structuré au millimètre quand il s'agit de cabaret ou de music-hall).

En complément de l'évident aspect hilarant et jouissif de la création de Jean-Luc Revol et Denis D'Arcangelo, se dessine une attitude plus politique, plus "engagée", visant, sans contraintes, à proposer un regard différent sur l'homosexualité, sur la notion de "virilité", sur l’hétéro-normativité et sur tous les clichés d'une manière générale existants sur le sujet. Et la période choisie reflète celle où Suzy Solidor devenait un symbole de la garçonne des "Années folles", contribuant à populariser auprès du grand public le milieu homosexuel parisien en célébrant notamment dans ses chansons les amours lesbiennes.

Alors quoi de plus heureux que de lier aujourd'hui le plaisir immense d'assister à un vrai spectacle de Music-Hall et d'aborder de manière sous-jacente une réflexion qui bouleverse à tort - car quoi de plus "naturel" que de donner les mêmes droits à tous - notre société sur le mariage gay et la PMA. "Les 2 G" est de ce point de vue une vraie réussite que l'on doit à deux artistes qui, s'ils ont déjà démontré leurs talents depuis de nombreuses années, prouvent ici que le Music-Hall était un art de la diversité, de la différence et de la tolérance, et qu'ils en sont les parfaits représentants.

* Nos deux artistes ont, entre autres, travaillé dans "La Nuit d'Elliot Fall" et "Le Cabaret des hommes perdus" (Molière 2007), Jean-Luc Revol à la mise en scène et Denis D'Arcangelo comédien chanteur dans des rôles inoubliables.

"Les 2 G, artistes de Music-Hall"

D'après une idée originale de Jean-Luc Revol.
Mise en scène : Agnès Boury, assistée de Sébastien Fèvre.
Avec : Jean-Luc Revol et Denis d'Arcangelo.
Musiciens : Patrick Laviosa (piano), Sébastien Mesnil dit "Le Zèbre" (accordéon guitare percussions).
Costumes : Aurore Popineau.
Création lumières et son : Celio Menard.
Chorégraphie : Caroline Roelands.

Depuis le 9 avril 2013.
Du mardi au samedi à 21 h, dimanche à 17 h.
Théâtre du Petit Saint-Martin, Paris 10e, 01 42 08 00 32.
>> petitstmartin.com

Gil Chauveau
Jeudi 18 Avril 2013

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024