La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Coin de l’œil

Les Neiges du Kilimandjaro : la vieille garde ne se rend pas

Un film d’aujourd’hui, avec des héros d’hier, qui ne veulent pas rater demain. Voilà le programme de Robert Guédiguian, qui n’est pas candidat à la présidentielle mais qui n’en pense pas moins.



Les Neiges du Kilimandjaro © DR.
Les Neiges du Kilimandjaro © DR.
Si le thème du voyage dans le temps est un classique récurent de la science-fiction, il est en revanche plus rarement utilisé dans le cinéma social. Attention, cela ne veut pas dire que Robert Guédiguian marche ici sur les traces de René Barjavel ou Poul Anderson. Pour autant, en mettant en scène ces personnages d’une époque révolue, confrontés à une problématique on ne peut plus contemporaine et refusant de faire l’impasse sur l’avenir, on peut sans problème dire qu’il nous entraîne dans un superbe paradoxe temporel.

Au cœur de ce continuum espace-temps social, Michel et Marie-Claire (Jean-Pierre Darroussin, Ariane Ascaride, à l’unisson dans la justesse), de gauche de la racine des cheveux aux ongles des orteils et Marseillais du même bois. Lui, syndicaliste inoxydable, vient de se faire coller en préretraite d’office - plus exactement, il a participé volontairement à un tirage au sort "pour sauver la boîte" -, elle, fait des ménages pour une vieille dame. Un beau soir, ils se font agresser à domicile par deux jeunots qui les frappent, les ficèlent, avant d’embarquer leurs cartes bleues, leurs alliances, ainsi que la cagnotte en liquide et les billets pour un safari en Tanzanie que leurs enfants et leurs amis venaient de leur offrir pour leur trente ans de mariage.

Les Neiges du Kilimandjaro © DR.
Les Neiges du Kilimandjaro © DR.
Le traumatisme est sévère. Mais moins que lorsqu’ils découvrent que l’un des braqueurs travaillait avec Michel et a fait partie de la même charrette de licenciements : un gamin de cité qui, pour se tirer de galères sans fin - père parti, mère en virée, deux frangins à élever, un loyer qui ne baisse pas, des dettes qui s’entassent et, en prime, le chômage -, a décidé de se faire un couple de bourgeois. Et quand Michel lui parle de solidarité ouvrière, il lui rie au nez et lui renvoie son appartement confortable, sa petite préretraite tranquille, ses dimanches en famille à la plage… Bref, il le traite de nanti. Du coup, le syndicaliste pétri de pensée collective réalise, abasourdi, qu’il vit désormais dans un monde où des conquêtes de prolétaires sont vues comme des acquis de petits bourgeois. Plus besoin d’aller au pied du Kilimandjaro, il vient de lui dégringoler sur le crâne…

La première chose qui saute aux yeux dans ces Neiges du Kilimandjaro, c’est que Guédiguian est l’anti-Chatiliez. Pour l’ex-publicitaire cynique, la vie est un long fleuve tranquille rempli de piranhas qui se bouffent entre eux, pour le cinéaste humaniste, elle est une mer en furie où chacun essaye de flotter selon ses moyens. Chatiliez déteste tous ses personnages, Guédiguian les aime tous. Ce qui ne veut pas dire qu’il est indulgent avec eux. Simplement, il se méfie des apparences, d’où sa propension à multiplier les scènes qui prennent nos jugements hâtifs à contre-pied. Et l’on s’aperçoit tout doucement, au fil de la projection et des soubresauts humains qui ponctuent l’intrigue, que l’on est en train de regarder non pas un film plein de bons sentiments, mais un film sentimental, ce qui n’est pas la même chose.

Les Neiges du Kilimandjaro © DR.
Les Neiges du Kilimandjaro © DR.
Pour son retour à l’Estaque, l’auteur de Marius et Jeannette balance une sacrée claque aux conventions du moment, qui voudraient que l’époque soit au désespoir et au no future. À l’individualisme, il oppose l’empathie, à l’envie de revanche, il oppose la réflexion, à la culpabilisation, il oppose l’action, à la rancœur, il oppose l’amitié. Et, l’air de presque rien, il signe un véritable manifeste politique, on ne peut plus d’actualité.

À l’heure où Sarkozy et toute la clique de l’UMP s’évertuent à mettre les misères en concurrence et à dresser les pauvres contre plus pauvres qu’eux, Robert Guédiguian apporte une réponse évidente aux angoisses contemporaines : rêver d’hier ne sert à rien et maudire aujourd’hui non plus, c’est pour demain qu’on vit et qu’on agit. Ça l’air idiot, dit comme ça. Mais essayez, vous verrez, ce n’est pas si facile à mettre en pratique…

Les Neiges du Kilimandjaro © DR.
Les Neiges du Kilimandjaro © DR.
• Les Neiges du Kilimandjaro,
un film de Robert Guédiguian.
Inspiré du poème de Victor Hugo, "Les Pauvres Gens".
Scénario : Jean-Louis Milesi et Robert Guédiguian.
Avec : Jean-Pierre Darroussin, Ariane Ascaride, Gérard Meylan, Marilyne Canto, Grégoire Leprince-Ringuet, Anaïs Demoustier, Adrien Jolivet, Robinson Stévenin.
En salles depuis le 16 novembre 2011.

Gérard Biard
Vendredi 25 Novembre 2011

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
06/03/2024
Spectacle à la Une

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023