La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"La main de Leïla"… La passion amoureuse comme une ultime rébellion face à tous les despotismes

"La main de Leïla", Théâtre des Béliers Parisiens, Paris, puis en tournée

Haram Cinéma, salle clandestine, refuge des étreintes langoureuses sur grand écran où Leïla, bravant les interdits, trouvera l'amour et embrassera la vie aventureuse de Samir. Aïda Asgharzadeh, dont nous avions découvert et apprécié la plume vive et efficace avec "Les Vibrants", est de retour avec "La main de Leïla" (en coécriture avec Kamel Isker), vrai succès au festival Off d'Avignon qui ne se dément pas à Paris depuis fin septembre.



© Alejandro Guerrero.
© Alejandro Guerrero.
Sidi Fares 1987, au fond d'un garage, dans une clandestinité cinéphile, Samir dévoile les plus beaux baisers du 7e art sur une "toile" à l'expression populaire circonstanciée. Ainsi l'Haram Cinéma est né, édifié sur un héritage paternel de pellicules mythiques faisant la fronde à la censure gouvernementale. Bien qu'interdit aux femmes, la douce mais effrontée Leïla s'immisce dans ce lieu exempt de légalité et finira par concrétiser avec le jeune projectionniste les rapprochements filmiques suggérés sur l'écran. Avec, en arrière-plan, l'historique actualité des mouvements de révolte survenus notamment à Alger à l'automne 88, se tisse entre les amants une liaison enthousiaste, impétueuse, mais aussi tendre et parfois contrariée.

Le tableau dépeint par Aïda Asgharzadeh et Kamel Isker a des teintes douces acides et leur récit balance avec virtuosité entre une fable amoureuse, joliment abordée et bien écrite, prenant les aspects passionnés, parfois fougueux, parfois plus sensuels propre aux contes populaires perses, et une chronique documentée sur l'Algérie de la fin des années quatre-vingt apportant parfois une violence insidieuse dans les relations entre les protagonistes, certains alimentées d'une connaissance historique d'actions à l'inéluctable fin dramatique…

© Alejandro Guerrero.
© Alejandro Guerrero.
La pièce rayonne avec une étonnante aisance à la fois sur ces événements gravés dans l'Histoire algérienne (d'octobre 1988) et sur des instants marqués par l'intime, l'émotion ou l'expression des sentiments… tout en créant un canevas finement tramé par des ambiances colorées "ocre et havane" façon "Cinéma Paradiso", sous la bienveillance cinématographique d'un "Casablanca"* rêvé pour ses baisers "illégaux"… censurés par un rigorisme d’État.

Dans chacun des rôles endossés, Aïda Asgharzadeh, Kamel Isker, Azize Kabouche font montre d'une réelle justesse de jeu, nous donnant à voir - tant par les changements de voix ou à travers les costumes ou "déguisements" revêtus - des personnages truculents, audacieux, à la joyeuseté juvénile, charmeurs, sensuels ou autoritaires, menaçants, désespérés.

La réussite de cette proposition théâtrale résulte à la fois de la consistance des propos tenus, qu'ils soient légers, sérieux ou inquiétants, et de la fluidité des répliques au verbe affûté et aux quelques effets humoristiques piquants.

© Lisa Lesourd.
© Lisa Lesourd.
Régis Vallée, grâce à sa mise en scène rythmée, toute en précision et souplesse, fait s'enchaîner sans temps morts les différents lieux et les multiples situations, aidé en cela par un décor mobile, se métamorphosant sans cesse, généré par un dispositif - bourré d'astuces - fait de modules (cagettes en plastique) et d'accessoires (rideaux, tringles, bidons, etc.) qui ne peut trouver d'équivalence que dans l'ingéniosité d'un transformiste.

L'ensemble est virtuose dans tous ses compartiments, de la passion épique des deux amants face aux obstacles distillés par le père de la belle (colonel, représentation intransigeante du pouvoir) au final à l'issue sans espoir (mais n'est-ce pas là, depuis longtemps, et malheureusement, la permanence du trauma algérien), en passant par les séquences burlesques, voire hilarantes, militantes, "shéhérazadienne" ou encore familiale façon comédie italienne.

Une auteure comédienne à l'avenir très prometteur, des comédiens à la vitalité talentueuse pour une aventure mêlant avec intelligence mélodie langoureuse et composition militante sur un pays qu'on aimerait voir un jour se relever de ses blessures et souffler un nouveau vent de liberté à destination de son peuple.

*"Casablanca", film de Michael Curtiz (1942) avec Ingrid Bergman et Humphrey Bogart.

"La main de Leïla"

© Lisa Lesourd.
© Lisa Lesourd.
Texte : Aïda Asgharzadeh et Kamel Isker.
Mise en scène : Régis Vallée.
Avec : Aïda Asgharzadeh, Kamel Isker, Azize Kabouche.
Scénographie : Philippe Jasko.
Musique : Manuel Peskine.
Création lumière : Aleth Depeyre.
Costumes : Marion Rebmann.
Durée : 1 h 20.

Du 23 septembre au 12 novembre 2017.
Du mercredi au samedi à 19 h, dimanche à 15 h.
Du 15 novembre au 31 décembre 2017.
Du mercredi au samedi à 21 h, dimanche à 15 h.
Relâche le 19 novembre.
Théâtre des Béliers Parisiens, Paris 18e, 01 42 62 35 00.
>> theatredesbeliersparisiens.com

Tournée

© Lisa Lesourd.
© Lisa Lesourd.
20 janvier 2018 : Villeneuve-Saint-Georges (94).
23 janvier 2018 : Mont-de-Marsan (40).
25 janvier 2018 : Montaigu (85).
31 janvier 2018 : Margny-lès-Compiègne (60).
7 février 2018 : La Rochefoucault (16).
9 février 2018 : Villeparisis (77).
14 février 2018 : Tourlaville (50).
15 février 2018 : Granville (50).
16 février 2018 : Vitré (35).
22 février 2018 : Le Locle (CH).
1er mars 2018 : Sion ( CH).
2 mars 2018 : Sion (CH).
2 mars 2018 : Yverdon (CH).
Du 8 au 11 mars 2018 : Dubaï.
16 mars 2018 : Sainte-Geneviève-des-Bois (91).
27 mars 2018 : Saint-Raphael (83).
31 mars 2018 : Lezignan-Corbières (11).
14 avril 2018 : Val Bréon (77).
Du 16 au 21 avril 2018 : Corse.
27 avril 2018 : Saint-Priest-en-Jarez (42).
28 avril 2018 : Saint-Genest-Lerpt (42).
25 mai 2018 : Conflans-Sainte-Honorine (78).
31 juillet 2018 : Sarlat-la-Canéda (24).

Gil Chauveau
Jeudi 26 Octobre 2017

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024