La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"3 annonciations" Poétique et politique !

Dans un très beau texte de Pascal Rambert, l'auteur use de poésie pour montrer, au travers de trois archétypes féminins, le monde avec ses mystères et ses évolutions. Se basant sur une picturalité propre à l'époque vénitienne, nos trois protagonistes se situent à différents moments, religieux ou laïcs, où leurs voix se font entendre autant dans leurs tessitures que dans leurs propos politiques.



© Marc Domage.
© Marc Domage.
Noir sur scène, accompagnant durant toute la représentation un triptyque d'annonciations au travers de trois tableaux différents. Le metteur en scène et dramaturge Pascal Rambert se réapproprie cet esprit pictural tel qu'il a pu être traité dans la peinture vénitienne. Autour de trois visages, ceux d'un ange, d'une vierge et d'une cosmonaute, l'auteur décline poétiquement, séquentiellement dans les langues de Dante, Shakespeare et Molière, l'humanité dans ses désirs, ses songes, ses absences, ses présences et ses prophéties.

Tout le spectacle est surtitré. Le premier tableau est en italien. Nulle présence sur le plateau, seule une voix, celle de Silvia Costa, se fait entendre en off avec douceur dans le rythme. Le silence enrobe les paroles qui se détachent avec une certaine gravité. Les mots semblent peser leurs poids. Le deuxième est en espagnol. Là, le propos est dans l'émotion, dans l'intensité qui verse parfois dans la colère. Les ruptures de jeu sont donc multiples avec une montée en puissance vocale.

© Marc Domage.
© Marc Domage.
Le troisième est en langue française. La tonalité est calme et lucide, une lucidité qui se nourrit d'un questionnement du temps présent, actuel et d'un rappel à une époque, éloignée de deux ou trois décennies, où est égrenée une énumération d'expressions qui étaient usitées et ayant perdu aujourd'hui toute adéquation comme, entre autres, "consensus non trouvé", "vivre ensemble" et "sortie de crises".

Il y a un parfum de nostalgie, comme d'un "c'était mieux avant", sans pour autant que cela verse dans des regrets. Nous sommes dans un constat où est mis en exergue un monde dans lequel le manque de nuances et le choix de ce qui est factuel engage parfois l'esprit humain dans une radicalité où la part d'autrui est bafouée. Le sentiment s'exprime dans la dernière scène comme la raison dans le premier et la révolte dans le deuxième.

Le noir scénique habille la scénographie avec, pour seul accessoire, une fleur courbée de toute sa taille dans un vase long et transparent. Le principal personnage reste la voix avec une présence évidente même quand le personnage physique n'apparaît pas. Dans l'annonciation de la vierge, le costume évolue avec Itsaso Arana couverte d'un habit aux couleurs rougeoyantes et qui se dévêtit le tronc laissant paraître ses seins.

Plus loin, avec un costume plus clair habillé d'une couronne de pointes comme une fleur avec ses pétales, elle apparaît en vierge pour devenir une sorte de crucifix avec ses bras étendus. Elle se fait symboliquement homme, comme le sauveur, qui pardonnait à l'humanité ses pêchés alors qu'elle crie, dans une violence verbale, sa féminité face au monde.

Le dernier tableau où Audrey Bonnet est en cosmonaute se trouve dans une atmosphère lunaire, comme si la protagoniste marchait sur la lune. Ou bien est-ce son costume qui lui donne cette allure d'apesanteur ? Elle se dévêt, comme pour la scène précédente, de son costume jusqu'à la taille. La modernité de cette séquence est étonnante car à rebrousse-poil de tout le spectacle. Dans chacune de ces annonciations, physiques, c'est aussi la revendication féminine d'un sexe qui est montrée par le biais des seins. Le corps de la femme s'y montre à l'évidence comme un étendard.

Même recouverte dans celui du cosmonaute où ne peut se dessiner un genre sexuel, l'habit est un moment abandonné pour le revendiquer. Non pas comme différence, mais comme singularité. Elles sont femmes, non en contraste du sexe opposé mais en autonomie par rapport à celui-ci, comme repères à elles-mêmes. L'acte, non anodin, de se déshabiller la moitié haute du corps devient politique, c'est celui d'une revendication féminine de la place d'un genre dans tout métier et dans tout symbole.

© Marc Domage.
© Marc Domage.
Autant dans celui des anges, qui n'ont pas de sexe, du moins de ce qui se raconte sur eux. Que dans celui de la vierge, qui montre sa sexualité dans le contour de ses seins, sans qu'aucune connotation sexuelle ne s'y mêle. Et dans celui d'un métier scientifique, dans lequel, c'est un homme qui a posé le premier pied sur la lune. Nous retrouvons ici, une femme, fouler un sol dont on ignore la planète. La lune ou autre chose ? Pour ce dernier cas, ce serait marqué un nouveau territoire, libre à chacun de s'imaginer l'une des deux situations.

Le texte est très poétique. Enveloppé et enveloppant de lyrisme et d'une voix restant dans une neutralité lucide, pour la dernière annonciation jouée par Audrey Bonnet, ou être portée par Itsaro Arana dans une conviction revendiquée baignée d'émotions et de colère. L'organe vocal devient aiguillon d'une description, d'une lutte, d'une revendication et d'un constat. Le poing peut être accompagné d'une rose sans ses épines.

"3 annonciations"

© Marc Domage.
© Marc Domage.
Texte et mise en scène : Pascal Rambert.
Avec : Audrey Bonnet (France), Silvia Costa (Italie), Itsaso Arana (Espagne).
Espace : Pascal Rambert et Yves Godin.
Lumière : Yves Godin.
Costumes : Anaïs Romand.
Musique : Alexandre Meyer.
Collaboratrice artistique : Pauline Roussille.
Traduction espagnole : Coto Adánez Del Hoyo.
Traduction italienne : Chiara Elefante.
Surtitrage : Alessandra Calabi.
Régie générale : Alessandra Calabi.
Régie lumière : Thierry Morin.
Régie son : Chloé Levoy.
Régie vidéo : Charles Lefebvre.
Régie plateau : Antoine Giraud.
Habilleuses : Marion Régnier et Marine Baney.
Production déléguée : structure production.
Coproduction TNB - Théâtre National de Bretagne, Scène nationale du Sud-Aquitain, Théâtre des Bouffes du Nord.
Durée : 1 h 30.

Spectacle créé le 29 septembre 2020, au TNB, Théâtre national de Bretagne, à Rennes.

Le texte "3 Annonciations" est publié aux Éditions Les Solitaires intempestifs.

Spectacle qui s'est joué du 1er au 4 février 2023, Salle Firmin Gémier, Théâtre national de Chaillot, Paris 16e.

Safidin Alouache
Lundi 13 Février 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024