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Théâtre

"Madam #4" Le cyber espace, nouveau Far West des luttes contre le sexisme

Quatrième volet d'une série de six spectacles, "Madam#4" (acronyme de Manuel d'Auto-Défense à Méditer), sous-titré : "Je préfère être une cyborg qu'une déesse", explore le cyber féminisme, terme qui exprime l'activisme des femmes sur le net dans le but d'une émancipation totale sur l'hégémonie masculine dominante. Mais "Madam#4" dérive un peu plus largement de ce contexte pour nous transporter de nos jours dans une vision à la fois dépouillée et acérée de la nécessité de reconnaissance et dans la célébration du pouvoir des femmes, ce deuxième sexe dont parlait Simone de Beauvoir, qui se veut sexe à part entière.



© Marie Clauzade.
© Marie Clauzade.
Le spectacle commence d'ailleurs par la revendication haute du désir, du plaisir, de la sexualité féminine, par un éloge sans fards du clitoris et de ses capacités orgasmiques tour à tour méprisées, dévaluées ou craintes, suivant les époques et les sociétés. Bref, suivant les trouilles des tenants du pouvoir en place : les hommes. La comédienne Claire Engel est seule dans un décor fait d'une immense toile blanche qui pend derrière elle et recouvre le sol, comme page immaculée qui coule, en fait, un écran. Voix, textes projetés et performance d'actrice seront les moteurs de ce spectacle hors norme.

L'espace du net, qui fait maintenant partie de toutes les vies, est le nouveau terrain de conquête, de pouvoir ou d'injustices. Il est aussi le prolongement artificiel, l'arme ou la prothèse de nos nouveaux pouvoirs. Dans cette exploration, "Madam#4", par l'incarnation de Claire Engel, raconte les possibles luttes et actions (comme ce piratage d'un écran publicitaire d'un des plus grands laboratoires au monde, Johnson et Johnson, vécu comme un commando) mais il est aussi question des harcèlements, des menaces, de violences obscures du net (ces "nudes" que les hommes se plaisent à faire tourner sur les réseaux dans le but d'humilier les femmes).

© Marie Clauzade.
© Marie Clauzade.
Il y a de la poésie et une belle ciselure dans le texte de Solenn Denis. Un texte qui raconte un monde "autre", un monde qui est à la fois une part de notre monde à tous et une extension. C'est Alice qui nous entraîne dans le terrier à la suite du lapin blanc, comme il est fait allusion dans le texte, mais c'est surtout Alice de l'autre côté du miroir qui nous est montré. Ou plutôt la vision de notre monde vue, non plus par l'œilleton pénien du masculin, mais par une rétine féminine éclairée, ouverte et qui s'annonce moins binaire. L'envie de multiplier les possibles et faire se compénétrer fictions et réalités, avaler la chair comme la mécanique, le virtuel comme le frissonnant.

Dans cet exercice d'équilibriste où elle incarne de multiples axes tout en étant un seul et même personnage, Claire Engel est totalement crédible. Elle excelle dans cet exercice difficile où le spectacle entier tient sur ses épaules. Une belle création de rôle, d'une totale vérité, elle est énergique, impliquée et détachée tout à la fois.

Hélène Soulié propose là le quatrième pan d'une série de six spectacles portés par la parole de femmes diverses, de philosophes, de scientifiques, de psychanalystes. Chacun peut être vu indépendamment des autres car chacun traite d'un thème différent, puisé au travers de témoignages et d'interviews de femmes aux prises avec le monde, en action, en réaction, des femmes volontaires qui disent et agissent dans des territoires aussi différents que la cité, la Méditerranée, le web, le sport… Partant de ces témoignages et d'interviews d'un œil scientifique susceptible d'analyser le pourquoi et le comment, Hélène Soulié a demandé à six autrices d'écrire pour mettre en mots ces expériences, ces combats, et elle met en scène ces textes avec la toujours même exigence de surprendre et de provoquer. Dans le bon sens.

"Madam #4"

© Marie Clauzade.
© Marie Clauzade.
"Je préfère être une cyborg qu'une déesse"
Texte : Solenn Denis.
Conception : Hélène Soulié.
Mise en scène : Hélène Soulié.
Avec : Claire Engel.
Regard sociologique : Loréna Favier.
Vidéo : Maïa Fastinger.
Cie EXIT.
Durée : 1 h.

Vu dans le cadre d'une sortie de résidence fin février au POC d'Alfortville (94).

© Marie Clauzade.
© Marie Clauzade.
Les autres épisodes :
"Madam #1 - Est-ce que tu crois que je doive m'exuser quand il y a des attentats ?"
"Madam #2 - Faire le mur"
"Madam #3 - Scoreuse"
"Madam #5 - Quelque chose qui vaut mieux que soi"
"Madam #6 - Et j'ai suivi le vent…"

Les six épisodes du Manuel d'Auto-Défense À Méditer ("MADAM") est constitué de 6 chapitres d'une heure. L'intégrale est découpé en deux parties de 3 épisodes. L'ensemble avec entractes dure 8 h.

Tournée
6 avril 2021 : "Madam #4", Salle L'Agora, Le Crès (34).
15 mai 2021 : l'intégrale "Madam", Théâtre Jacques Cœur, Lattes (34).

Bruno Fougniès
Vendredi 19 Mars 2021

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