La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Festivals

"Festival Next 2023" Vivement le suivant !

Pour sa 16e édition, le festival "Next", se déroulant du 9 novembre au 2 décembre, est toujours fidèle à sa très riche qualité artistique. 36 spectacles nous emmènent dans une (re)découverte de talents connus, nouveaux, prometteurs, tant régionaux que venus d'ailleurs. Sur cet "ailleurs" s'inscrit un filon où le théâtre, la danse et la performance sillonnent les terres de seize villes françaises et belges autour de l'Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai et de Valenciennes. Première incursion avec les spectacles "Foreshadow" et "Deep cuts".



"Indoor Weather", le 29 novembre au Phénix à Valenciennes © LVS.
"Indoor Weather", le 29 novembre au Phénix à Valenciennes © LVS.
Au début de "Foreshadow", sept danseurs sont situés côté cour sur la lisière des planches. Ils sont en rangs, de profil. Sur scène, ils enchaînent des solos, duos et trios, voire plus en se tenant par les bras, les jambes et les mains. Le spectacle débute avec une fluidité qui n'est pas au rendez-vous les premiers instants, comme si la recherche de l'autre était obérée par un manque de spontanéité. Puis dans une approche beaucoup plus fluide, on assiste à des gestiques qui vont du sol aux murs, les artistes étant parfois perchés sur ceux-ci.

Tout est mouvement et arrêt. La dynamique est dans un rapport au temps où les secondes semblent s'écouler lentement pour les gestuelles. Celles-ci sont dans un prolongement corporel faisant de chaque interprète un passage ou un appui pour l'autre. Les mouvements sont dans un pré carré, souvent à hauteur des torses jusqu'à la plante des pieds, mains comprises, à proximité des uns et des autres.

À dessein, la chorégraphie d'Alexander Vantournhout laisse voir peu de grâce. Cela est pour autant bien agencé dans des équilibres collectifs qui gomment des déséquilibres individuels. Seuls les corps, avec chacun leur gravité, sont mis en exergue comme engagés dans des situations dans lesquelles l'équilibre est recherché dans des figures où le déséquilibre est en toile de fond. On se jette sur des jambes repliées au sol, comme une vague sur un récif. Les interprètes peuvent être accrochés au mur, ou être en appui de bras et de jambes.

"Foreshadow" © Bart Grietens.
"Foreshadow" © Bart Grietens.
Plus loin, ce sont des cercles humains qui se suivent en ce que chacun se tourne vers son alter ego pour apporter une dynamique de mouvements où les artistes se touchent à peine. Et pourtant, tout est touché et paradoxalement relâché. Ceux-là deviennent plus fluides, plus alertes tout en étant parfois un peu lâches musculairement, donnant le sentiment d'un laisser-aller tout en maîtrise puisqu'une réelle synchronisation de temps et de gestes, sans que ceux-ci soient faits au cordeau, a lieu entre les danseurs.

La présence de l'autre devient primordiale, car le mouvement existe par lui. Les membres glissent les uns sur les autres. Le pied de l'un s'appuie sur la main de l'autre quand l'épaule est rebond pour la jambe d'à côté. De cette proximité, elle devient le flux nerveux d'une dynamique qui donne du corps une forme élastique et étendue. Il va toujours plus loin et plus haut, car en continuel mouvement, comme prolongation d'un autre que lui, comme la dérive d'un continent qui bouge et renaît à chaque déplacement.

Pour le deuxième spectacle, la scénographie de "Deep cuts" laisse découvrir des tables en bois où s'étalent haches, scies et canettes de soda. Un homme (Brian Campbell) scie des planches. Puis, il va vers une autre pièce et nous basculons dans un autre monde quand il pousse un chant lyrique en latin, dos au public, avec des partitions affichées sur du contreplaqué. Puis les ruptures de jeu s'enchaînent. On passe du bricolage, à l'opéra, du chant à la danse. Toujours habillé de son tablier de bûcheron lui dénudant les bras et un bout de son torse, il abandonne ses scies pour effectuer des mouvements de danse accompagnés de demi-tours, le tout en longeant le plateau. Dans ces trajectoires et ces déplacements se mêlent une juxtaposition d'univers où la grâce et le rugueux, l'élégance et le fougueux se marient à chaque instant. On bascule d'une forme à l'autre sans préavis, comme si l'un ne devait pas aller sans l'autre.

Une forme de légèreté habite aussi notre protagoniste quand il chante. Dans ces basculements entre activité manuelle physique et le chant, la musique et la poésie, c'est un large spectre de disciplines artistiques qui est appréhendé dans une forme toujours décalée. Rien pourtant n'interdit de chanter un opéra avec son tablier de bricolage ou de danser avec une hache à chaque main. C'est dans cette approche aussi étrange qu'évidente sur scène que s'immiscent tous les tableaux. Cette cohabitation autant gestique qu'artistique nous dessine un monde dans lequel la cohérence des situations ne tient pas lieu d'aiguillon.

Ce qui revisité est un rapport au monde et à soi où se mêlent différentes thématiques via différents supports autant matériels qu'artistiques. Qui est ce protagoniste ? On ne sait. On pourrait le catégoriser par paresse et rapidement dans certaines cases avec ses haches et son tablier qui laisse voir un corps un peu fort et peu gracieux. Que nenni ! Il nous prend à rebrousse-poil après avoir scié aux premiers instants quelques planches en buvant quelques gorgées de soda pour démarrer un chant lyrique. Ces deux aspects font mariage durant le spectacle, la hache cohabitant avec le pas de danse. Ce mélange des genres, entre l'aérien et le terrien, est le fil conducteur des différents tableaux. Le rapport à la matière et à l'espace, au concret et à l'éthéré trouve sa ligne de crête dans la chorégraphie que l'interprète effectue avec son habit de bûcheron.

"Deep Cuts" © Fernanda Tafner.
"Deep Cuts" © Fernanda Tafner.
Sont englobés ainsi la grâce et le frontal, la légèreté et la force, les travaux manuels et l'Art. Dans la fusion de ces deux univers, c'est l'expression de ce décalage constant qui anime notre personnage. De bout en bout de la représentation, les ruptures de jeu s'enchaînent, délivrant pour chacune d'elles un tableau dans lequel l'incarnation de Brian Campbell est des plus physiques ou des plus poétiques, l'esprit cohabitant avec le muscle, la poésie avec le crissement d'une scie, la gorgée de soda avec le chant en latin.

Une vidéo super 8 est projetée durant le spectacle, créant une nouvelle rupture de jeu. On y voit notre protagoniste dans la nature, tout sourire et joyeux. Puis, on le découvre dans un exercice sadomasochiste où la personne qui l'accompagne et qu'on ne voit pas, le filme en lui donnant des coups de martinet sur le dos. Cet autre moment donne une réalité sexuelle à notre personnage qui était dans un rapport actif, viril et dominant depuis le début du spectacle avec ses outils de bricolage, dans une situation de bâtisseur et de destructeur de son chez-soi. Son attitude était liée à la force.

Là, il est dans une attitude de dominé, trouvant un plaisir joyeux à la compagnie d'un autre dont on ignore et le sexe et la moindre caractéristique physique. Il est seul, toujours seul, même quand il est accompagné. Son univers se résume à lui-même dans un épanouissement autant artistique, sexuel que besogneux. Dans ce voyeurisme qui est montré, le public est-il convié ? Dans ce cheminement où le regard de l'autre, a minima dans la vidéo, est présent, fait-il aussi irruption dans son chez-soi ? Le public est-il un acteur du spectacle ou est-ce le quatrième mur de Diderot ?

Dans ce rapport intime à soi, la présence de l'autre est-elle partie prenante ? Ces questions peuvent se poser lors de la séquence vidéo où même l'autre, amant amoureux ou uniquement sexuel, est une présence absente. Dans ce jeu de clair-obscur avec la vidéo, le rapport à soi déborde-t-il uniquement dans le champ du fantasme solitaire ?

C'est une course à soi et vers soi où corps et esprit font un joli mariage. Un spectacle surprenant.

16e Festival Next

Du 9 novembre au 2 décembre 2023.
>> nextfestival.eu
>> Programme

"Foreshadow", d'Alexander Vantournhout (Belgique) & not standing (Belgique), a été interprété le 10 novembre à la salle "Le Phénix" - Scène nationale pôle européen de création, Valenciennes.
"Deep cuts", de Bryan Campbell (États-Unis/France), a été joué (en anglais, surtitré en néerlandais et français) le 10 novembre au Budascoop à Courtrai (Belgique).

Tournée
"Foreshadow"
21 novembre 2023 : "Le Bateau Feu", Dunkerque (FR)
"Deep cuts"
Juin 2024 : Festival Extrapole, Pôle Sud, Strasbourg (67).

Safidin Alouache
Mercredi 22 Novembre 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024