La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Mon père (pour en finir avec)" Une vision acérée et transcendante de la famille et de ses aires tumultueuses

"Et voilà ce que ça donne une vie sans amour, une maison vide avec des gens perdus dedans".
Après dix ans d'absence, dans la maison familiale où vit une mère et ses trois enfants – deux naturels (un garçon et une fille) et un enfant adopté (le fils préféré) –, le père revient mourir dans une chambre, à l'étage. Ce sont alors les esprits et les souvenirs qui se heurtent, se rencontrent et dressent le portrait d'un homme et d'une vie de mensonges et de trahisons. Les enfants et la mère écoutent les spectres qui passent et tentent d'opérer une réconciliation. C'est une fête macabre, une danse joyeuse autour d'un presque mort, responsable de tant d'existences gâchées. La mère, quant à elle, sera bientôt libérée, réconciliée.



© Éric Schoenzetter.
© Éric Schoenzetter.
Assister à une représentation de Pierre Notte ou lire de manière plus solitaire un de ses nombreuses pièces, c'est à coup sûr basculer vers un "connu inconnu", affronter un tsunami émotionnel, ou encore sonder la nature humaine au plus profond de ses entrailles. Impossible de rester de marbre face à son écriture dramaturgique ! Encore moins face à ses mises en scène. On aime le travail de Pierre Notte ou on le déteste…

L'adaptation de son texte éponyme – paru en janvier dernier aux éditions L'avant-scène théâtre –, ne démentira pas nos propos. Dès les premiers instants de la pièce, le spectateur est projeté dans l'œil du cyclone de la création théâtrale et de l'imaginaire flamboyant "pierrenottien". Et nous, on aime, intensément, en découvrant à chaque fois des pépites d'inventivité textuelles et scénographiques, sans oublier les trouvailles caustiques, à nulle autre pareille, qui nous ravissent.

Cette pièce, c'est l'histoire des trois enfants qui reviennent voir le père, mais juste pour un aller-retour. Ils n'ont pas de vêtements de rechange, la fille n'a pas pris la peine de se maquiller et la mère, sévère et directive, s'en offusque ! Le rôle de cette mère, au premier abord acariâtre, est tenu par Silvie Laguna, comédienne talentueuse (que nous avons déjà vu jouer dans d'autres pièces de l'auteur). Son interprétation, toujours juste et affûtée, est comme en totale osmose avec les intentions dramaturgiques de Pierre Notte avec lequel elle joue depuis longtemps.

© Éric Schoenzetter.
© Éric Schoenzetter.
Cette maison dans laquelle les enfants se rassemblent, parce que la mort va venir, ce pourrait être celle de beaucoup d'entre nous ! Sauf que la famille de Pierre Notte, sa mère, sa sœur, ses frères et, bien entendu, son père, ne seront jamais les nôtres. C'est son histoire, bouleversante, cruelle, s'il en est, voire irrévérencieuse, souvent provocatrice. Et à bien y regarder, si ce père, c'était le nôtre ? Comment nous accommoderions-nous du propos théâtral évoqué ? Mais là n'est pas la question. Nous dévions… Recentrons-nous !

Aux côtés de la figure centrale de la mère, cinq autres comédiennes et comédiens proposent très justement leur vision patriarcale "d'un père présent-absent, taiseux, silencieux et d'un amour impossible. Mais c'est dans la tête de cet homme agonisant que le spectateur est projeté. Et c'est la mère, réduite à l'état de mère précisément, d'épouse, de chose, d'esclave domestique, trahie, déçue, qui l'évoque aux côtés de ses trois enfants. Les démons et les fantômes sont là, mais il faut le faire avec beaucoup d'humour, de distance et c'est la moindre des délicatesses que de le faire", Pierre Notte, interview de Michel Flandrin dans "Les sorties de Michel Flandrin" (décembre 2022).

Dans le rôle des trois enfants, Muriel Gaudin, Benoît Giros et Clyde Yeguet sont d'une prodigieuse complicité et excellent dans leur capacité à changer de rôle tout au long de la pièce. Leur travail sur la langue et leur prononciation reflète à merveille l'état de tension qui se joue entre eux. Et puis, il y a cette langue si particulière propre à Pierre Notte, comme psychotique, aux allures de boule à facettes, qui semble placer les comédiens(nes) dans le tambour d'une machine à laver sur essorage.

La nouvelle comédienne entrée dans la maison de Pierre, Shékina Immanuelle, mérite d'y rester un moment tant son jeu et son interprétation chantée sont justes et bouleversants. La scénographie de la pièce est taillée au cordeau. Efficace et sobre. Certains objets de couleur rouge aux allures enfantines occupent le plateau, dont une carabine et un crucifix, souvenirs du patriarche en train de mourir. La présence de Pierre Notte sur scène, dont on notera à nouveau le charisme et l'élégance, renforce grandement le propos de la pièce.

"Mon père (pour en finir avec)" est une pièce qui parle à beaucoup d'entre nous. C'est du grand Pierre Notte en tout cas, celui d'un homme qui a su grandir dans l'ombre de son père sans que l'ombre n'occulte la lumière dans laquelle il est installé, fort heureusement.
Puisse cette lumière l'éclairer encore et encore afin que nous entrions à nouveau dans sa maison théâtrale où il fait si bon se retrouver.

"Mon père (pour en finir avec)"

© Éric Schoenzetter.
© Éric Schoenzetter.
Texte : Pierre Notte, édité aux éditions L'avant-scène théâtre.
Mise en scène : Pierre Notte
Avec : Muriel Gaudin, Benoît Giros, Silvie Laguna, Pierre Notte, Shékina Immanuelle et Clyde Yeguete.
Collaboration artistique et lumières : Éric Schoenzetter.
Durée : 1 h 25.

Le spectacle s'est joué au Théâtre La Flèche, Paris 11e, du 12 au 15 septembre 2023.

Tournée
13 et 14 octobre 2023 : Théâtre de la Roëlle, Villers-lès-Nancy (54).
9 et 10 février 2024 : Théâtre du Pont-Tournant, Bordeaux (33).
Festival Off d'Avignon 2024 au Théâtre des Halles (à confirmer).

Brigitte Corrigou
Lundi 25 Septembre 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024