La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Concerts

Superbe couronnement du cycle des symphonies de Tchaïkovski par Philippe Jordan et l'Orchestre de l'Opéra de Paris

Initié en 2017, le cycle des six symphonies de Piotr Ilyitch Tchaïkovski entrepris en trois volets par le directeur musical de l'Opéra de Paris s'est conclu en toute beauté en ce printemps 2018 avec les 3e et 6e. Un concert à revoir sur le site de la Philharmonie avant diffusion à la télévision.



Orchestre 2016-2017 © Eléna Bauer/OnP.
Orchestre 2016-2017 © Eléna Bauer/OnP.
Philippe Jordan a donc clos le cycle qu'il a consacré aux symphonies du compositeur russe en trois concerts à la tête des forces de l'Opéra de Paris. Les deux premières soirées ont été consacrées cette saison, d'abord à la première symphonie liée à la cinquième pour leur caractère positif, puis à la deuxième suivie de la quatrième "pour leur proximité d'écriture" (1).

Pour l'ultime rendez-vous mi-mai 2018 à la Philharmonie de Paris, le chef a choisi de rapprocher la troisième symphonie (de 1875) et la sixième - la plus célèbre dite "pathétique" de 1893 - pour leur importance en tant que (respectivement) jalon et aboutissement dans l'histoire de ce genre après Beethoven.

La troisième symphonie conclut un premier cycle dans la production tchaïkovskienne. De 1868 à 1875, le compositeur a déjà écrit une œuvre importante et variée. Professeur au conservatoire, il ne goûte à l'indépendance financière que deux ans plus tard grâce à la rente versée par son mécène, Nadejda von Meck. Une riche période d'apprentissage dont l'opus 29 marque la fin et, tel Janus, le début d'une seconde ère marquée par les malheurs de la vie intime et à partir de la fin des années 1880 le triomphe public international.

Philippe Jordan © Philippe Gontier.
Philippe Jordan © Philippe Gontier.
Ainsi l'écriture de la troisième conjugue hommage aux devanciers classiques et nouveautés. Tchaïkovski conçoit cinq mouvements (une originalité, même dans son œuvre) plutôt autonomes, dont deux sont des danses. En mode majeur, cette sorte de suite mélodiquement raffinée affiche donc son architecture nouvelle : un Moderato lié à un Allegro Brillante et un Final Allegro (noté comme Polonaise) plus longs encadrant une valse "Alla Tedesca" (consacrée de façon inédite en mouvement), un Andante et un Scherzo.

L'Orchestre de l'Opéra de Paris dessine nettement les contrastes et enchaîne les dialogues de pupitres isolés du premier mouvement avec un rare bonheur. Les bois et les cordes de la Valse peignent ensuite de fantastiques tableaux avant de nous emporter dans le troisième mouvement où ils se révèlent (rejoint par le cor) avec une expressivité poignante.

Transparence des textures et brillance caractérisent les deux derniers chapitres de cette recherche d'une nouvelle voie pour la symphonie. On ne voit pas aujourd'hui quel autre orchestre en maîtrise mieux l'art souverain quand il est dirigé par celui qui a su en polir les facettes en orfèvre.

Les quatre mouvements de la "Pathétique" constituent l'ultime confession du compositeur romantique quelques semaines avant sa mort en 1893 à cinquante-trois ans - du choléra comme la mère adorée si tôt perdue dans l'enfance. Avec son programme si "profondément subjectif" (selon ses propres termes) Tchaïkovski ouvre la voie au grand Mahler en choisissant d'ouvrir et de clore la sixième avec un Adagio (avec un dernier volet sublime marqué Lamentoso).

Telle une autobiographie secrète, elle semble récapituler la vie spirituelle du compositeur et son destin tragique - avec les avertissements répétés du fatum (culminant dans l'Adagio initial avec les interventions saisissantes des trombones et le dernier mouvement reprenant le choral de cuivres du Requiem orthodoxe déjà entendu au premier).

Philippe Jordan © Philippe Gontier.
Philippe Jordan © Philippe Gontier.
Toujours remarquable de fougue et de clarté, l'orchestre exalte les deux Allegros centraux : d'abord une Valse à cinq temps transformée peu à peu par les envolées rythmiques s'achevant en un climat doloriste, lui-même surmonté par une danse souriante. Puis la verve folle s'empare inexorablement de tout l'orchestre dans le scherzo du troisième mouvement - un ballet et une marche que Philippe Jordan donne à entendre "solennellement jubilatoire(s)" comme voulu par le compositeur.

Avec son lyrisme éperdu contrarié par une obsédante energeia (celle du retour à la vie), ses mariages troublants de timbres et de couleurs (dans l'Allegro molto vivace) et ses plans sonores aux contours constamment parfaits, cette sixième symphonie revit ici avec une vraie plénitude mélodique. Rendue magnifiquement à son registre "vibrant" (2) comme à son drame essentiel, elle touche droit au cœur et réveille l'âme jusqu'au long silence final. En cette soirée Philippe Jordan et son superbe orchestre nous a rappelé avec l'éloquence idoine que Tchaïkovski y disait tout autant un adieu aux souffrances qu'aux formes du passé.

(1) Dixit Philippe Jordan.
(2) Le sous-titre en russe de la sixième peut se traduire par les adjectifs "Pathétique" ou "Vibrante".


Cycle Piotr Ilyitch Tchaïkovski/Les six symphonies.
Symphonie n° 3 en ré majeur opus 29.
Symphonie n° 6 en si mineur opus 74.


Orchestre de l'Opéra National de Paris.
Philippe Jordan, direction musicale.

À revoir jusqu'au 15 août 2018 sur Culturebox et Philharmonie Live.
Diffusion à venir du concert sur les chaînes TF1, France 3 et Mezzo.

Christine Ducq
Jeudi 7 Juin 2018

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024