La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Les naufragés"… Tragique et poétique

Y a-t-il une vie avant la mort ? Cette question posée dans cette pièce où se joue le tragique d'existences ballottées et esquintées, retrace un monde, celui des sans-abri, dans une mise en scène où parole au micro, François Cottrelle leur rend un vibrant hommage.



© Loll Willems.
© Loll Willems.
C'est d'abord un décor avec des planches de bois, vieilles, humides, posées sur du sable, qui frappe par leur présence comme une mosaïque où chaque élément est la pièce d'un puzzle. Ce puzzle est celui de la misère, de l'exclusion, des sans-abri, des clochards, des oubliés, de ces personnes que l'on voit sans voir, que l'on entend sans écouter. En arrière-scène, la proue d'un bateau naufragé rongé par la rouille.

Quelques éléments épars, telles cette chaise un peu bancale et une mini caméra posée sur pied qui filme parfois, au ralenti avec un effet de pixellisation qui s'étale sur l'écran, le visage de François Cottrelle devant son micro. Des dessins, des vidéos projetés aux côtés cour et jardin de la scène, avec Patrick Declerck, psychanalyste et écrivain, qui a suivi pendant plus de quinze ans les clochards de Paris et dont le roman, "Les naufragés. Avec les clochards de Paris" (2003), fait toute la trame de la pièce.

© Loll Willems.
© Loll Willems.
Le comédien incarne l'auteur. Il dit, parle, raconte la misère, les odeurs, les haines, les humiliations, les vivants, les morts, les morts-vivants, Puck, Raymond et les autres, tous les autres, les oubliés, les humiliés que peu respectent, ou trop peu, et qui ne se respectent pas, ou si mal. C'est superbe de sobriété. Le texte est un bijou de poésie de la détresse, une mise en écho des miséreux et des misérables pour reprendre le mot, devenu célèbre, de Victor Hugo (1802-1885).

Un spectacle poignant où le sentiment n'est jamais à fleur de peau, où les choses sont dites de façon directe, sans fioritures. Pas de faux-semblant dans le récit et une vérité mise à nu, sans détour, sans pudeur incarnée superbement par Cottrelle dans une mise en scène d'Emmanuel Meirieu, où la scénographie devient un personnage et dans laquelle le comédien se fait le fin observateur d'un monde cruel.

Tout y est. Le regard, la tête qui cherche, se penche, la voix en recul des émotions comme pour garder une objectivité avec des ruptures de jeu qui scandent ces mêmes émotions, échappées par l'entremise d'une voix qui rappelle ces souffrances, cette humanité qui n'en est plus une car la vie n'est que bribes et déchirures. La lumière est tamisée, ocre, un peu chaleureuse. La chemise du personnage est maculée, le visage un peu défait.

© Pascal Chantier.
© Pascal Chantier.
Il nous raconte Raymond, sa rencontre et sa mort. Et il y a Puck (Stéphane Balmino), un indigent devenu un instant l'incarnation de tous ces oubliés d'infortune qui apparaît au final, le corps décharné, rongé par des marques et des boutons. Il s'excuse presque d'être là en paraphrasant Puck dans "Le songe d'une nuit d'été" (1594-1595). Non, ce n'était pas un somme dont nous avons été l'objet, et outrage il n'y a pas eu, sauf celui d'une société qui piétine ceux qu'elle délaisse.

"Les enragés" étaient, lors de la Révolution française, un groupe de révolutionnaires radicaux qui revendiquaient l'égalité civique, politique et sociale. Nous en sommes très loin. Et le roman de Patrick Declerck est un formidable porte-voix à Raymond, Puck et à tous leurs compagnons de misère que l'on retrouve chaque jour, de plus en plus nombreux sur les trottoirs et dans les transports. Anonymes déshumanisés, leur voix se fait enfin un peu entendre.

"Les naufragés"

© Pascal Chantier.
© Pascal Chantier.
D'après le roman "Les naufragés. Avec les clochards de Paris" de Patrick Declerck.
Adaptation : François Cottrelle et Emmanuel Meirieu.
Mise en scène : Emmanuel Meirieu.
Avec : François Cottrelle et Stéphane Balmino.
Musique : Raphaël Chambouvet.
Maquillage : Roxane Bruneton.
Costumes : Moïra Douguet.
Lumière, décor, vidéo : Seymour Laval et Emmanuel Meirieu, avec la collaboration de Jean-Michel Adam.
Son : Raphaël Guenot.
Par la compagnie Bloc Opératoire.
Durée : 1 h.

Du 12 septembre au 2 octobre 2019.
Du mardi au samedi à 19 h.
Théâtre des Bouffes du Nord, Paris 10e, 01 46 07 34 50.
>> bouffesdunord.com

© Pascal Chantier.
© Pascal Chantier.
Tournée 2019/2020
8 au 12 octobre 2019 : Théâtre de Namur, Namur (Belgique).
16 au 19 octobre 2019 : La Criée - Théâtre National, Marseille (13).
29 novembre 2019 : Théâtre du Beauvaisis, Beauvais (60).
14 janvier 2020 : La Maison, Nevers (58).
24 janvier 2020 : La Machinerie - Scène régionale, Vénissieux (69).
4 février 2020 : Les Scènes du Golfe, Théâtre Anne de Bretagne, Vannes (56).
6 et 7 février 2020 : Théâtre l'Aire Libre, Saint-Jacques-de-la-Lande (35).
19 février 2020 : Théâtre de Bourg-en-Bresse, Bourg-en-Bresse (01).
25 au 27 février 2020 : Théâtre de la Cité - CDN Toulouse Occitanie, Toulouse (31).
10 mars 2020 : Théâtre La Colonne - Scènes et Cinés, Miramas (13).
12 au 14 mars 2020 : Théâtre du Bois de l'Aune, Aix en Provence (13)
20 et 21 mars 2020 : Le Liberté - Scène nationale, Toulon (83).
24 mars 2020 : Le Salmanzar - Scène de création et de diffusion, Épernay (51).
30 mars 2020 : Équinoxe - Scène nationale, Châteauroux (36).
9 avril 2020 : L'Arc - Scène nationale, Le Creusot (71).
14 mai 2020 : DSN - Scène Nationale, Dieppe (76).

Safidin Alouache
Vendredi 20 Septembre 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024