La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

Le Grand Sommeil… Et un grand réveil, de l'enfance à la maturité

Dans une mise en scène de Marion Siéfert, la comédienne, performeuse et danseuse Helena de Laurens incarne une préadolescente. Dans un jeu où elle marie l'enfance dans un corps d'adulte, ce personnage à la Janus est à la fois drôle, cruel et franc. Un cocktail où la malice et l'esprit en sont les gouvernails dans une création qui date de 2018.



© Matthieu Bareyre.
© Matthieu Bareyre.
La scène est vide. Helena de Laurens arrive et démarre naturellement, presque sans jouer, pour expliquer une situation, celle de Jeanne qui devait jouer le spectacle avec elle, mais les parents ont eu peur de continuer l'aventure suite à l'avis qui devait être demandé à un psychologue.

C'est toute cette trame qui est racontée, mise en scène et chorégraphiée dans le regard de Jeanne, cette préadolescente qui aurait pu connaître la scène. Mais voilà, les parents, les adultes ont décidé en son lieu et en sa place. Et ça Jeanne… elle n'aime pas.

Helena de Laurens est tout habillée de rouge et incarne ces deux personnages, le sien propre, et ce, corporellement ; et celui d'une enfant. Celle-ci apparaît avec une maturité certaine et des attitudes propres à son âge. C'est cet écart qui fait, entre autres, le suc et la quintessence du jeu. Il y a réappropriation d'un imaginaire de l'enfance qui donne aux choses dites une vérité où un propos, une expression et une posture peuvent devenir événement, révolte et éclat d'humeur.

© Matthieu Bareyre.
© Matthieu Bareyre.
Il y a une double focale car, physiquement, l'adulte est là et, psychiquement, au travers de mots, d'expressions faciales, d'exagérations corporelles et de grimaces, la préadolescente est sur scène. Ces deux biais permettent de donner au personnage, pourtant alimentée par une réalité du fait de la situation vécue, une dimension qui frôle la fable, voire le conte.

Le jeu d'Helena de Laurens est très physique. Les membres inférieurs s'étirent, les fesses sont aussi de la partie. Le visage participe à cette dynamique qui fait du corps le baromètre des émotions et du dit de Jeanne. Celui-là fait écho avec humour aux sentiments. Autour de grimaces, il exprime souvent sur scène les contrariétés, vexations et non-dits de l'enfant, plus sujet à des expressions directes et sans détours, bien que la maîtrise du verbe soit au rendez-vous.

Nous sommes dans le récit. Jeanne se raconte en livrant ses doutes sur les adultes dans leur appréhension des enfants et sur ses copines. L'enfance est cruelle. Nombre d'auteurs, dont Flaubert, en ont fait état. La protagoniste n'a pas la douceur d'un ange. Elle montre plutôt son côté diablotin. Elle est très critique sur la place qu'elle a prise dans les regards de ses parents et d'une psychologue qui la terrent dans une infériorité familiale et sociale, la déshéritant de toute décision et de tout avis.

© Janina Arendt.
© Janina Arendt.
Les scènes sont chorégraphiées dans une approche où le verbe devient un matériau sur lequel le travail des mots prend forme et sens, de façon, à dessein, exagérée, car enfantins, la jeunesse n'étant pas toujours dans la sobriété.

Plusieurs moments sont drôles comme celui où est simulée la visite chez la psychologue pour savoir si une enfant peut répéter un spectacle. Dans un jeu de gestes de toute beauté, subtilement habillé d'humour, Helena de Laurens transforme son corps en moment d'anthologie pour témoigner d'une situation absurde où la parole de la psychologue est tournée en dérision.

Par le biais de son postérieur et des doigts qui courent sur celui-ci, la situation devient comique. Le visage est non montré, la position étant de dos, et le postérieur est, avec les jambes, la partie visible du corps. Comme si celui-là devenait l'instrument et le porte-voix de la psychologue. Ce détournement du média de communication, qui est normalement le visage, souligne avec subtilité et légèreté le point de vue très critique de Jeanne quant à l'avis d'un médecin des âmes.

© Janina Arendt.
© Janina Arendt.
Ce sont des grimaces, des mots, des bruits, des sons d'une gamine, mais habillée d'une voix de femme, même si le débit et les intonations sont de son âge. Ce qui prime n'est pas l'imitation de celle-ci, mais ses propos et ses attitudes. Cela donne une vérité à travers deux focales différentes où maturité et naïveté cohabitent, donnant un éclairage des plus intéressants à la protagoniste. Elle est seule et double à la fois.

Les gestiques, la position du corps, ses déhanchements, les mains qui s'écartent de façon grande ouverte, une jambe qui fait monter une cheville assez haut pour la placer assez loin de son centre de gravité, tout est exagéré dans les déplacements. Le moindre pas devient l'expression d'un sentiment, d'une révolte, d'un refus. Elle se déplace donc elle existe. Tout est bousculé. La grâce est étouffée par l'humour. La légèreté démissionne face à la fraîcheur et à la spontanéité. C'est frais et désaltérant.

"Le Grand Sommeil"

© Matthieu Bareyre.
© Matthieu Bareyre.
Texte : Marion Siéfert.
Conception et mise en scène : Marion Siéfert.
Assistante à la mise en scène : Marine Brosse.
Chorégraphie : Helena de Laurens et Marion Siéfert.
Collaboration artistique et interprétation : Helena de Laurens.
Scénographie : Marine Brosse.
Lumière : Marie-Sol Kim, Juliette Romens.
Costumes : Valentine Solé.
Création sonore : Johannes Van Bebber.
Production : Ziferte Productions.
Durée : 1 h.

Du 12 au 21 avril 2023.
Du mardi au samedi à 20 h.
Théâtre des Bouffes du Nord, Paris 10e, 01 46 07 34 50.
>> bouffesdunord.com

© Marion Siéfert.
© Marion Siéfert.

Safidin Alouache
Mercredi 19 Avril 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
06/03/2024
Spectacle à la Une

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023