La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Les Ailes du désir"… Endosser la matérialité de l'être, de l'existence et de l'amour…

"Les Ailes du désir", Théâtre 13 Seine, Paris

Marquant le retour de Wim Wenders à Berlin, le film "Les Ailes du désir"* signe la rupture du cinéaste avec sa période américaine pour revenir à un cinéma plus intellectuel, tout aussi poétique mais plus dialogué. Marie Ballet s'empare de cette écriture (marqué de la "patte littéraire" de Peter Handke) pour nous en offrir une interprétation théâtrale augmentée d'une partition musicale sous influence indie rock de Stéphane Léchit et du doux balancement de la comédienne trapéziste Camille Voitellier.



© Thomas Cauchard.
© Thomas Cauchard.
Deux anges passent et repassent, énigmatiques, empreints de la nonchalance de l'observateur qui se sait éternel (Christophe Laparra et Paul Nguyen, tous deux excellents). L'un raconte une suite de petits événements de la vie quotidienne du commun des mortels, l'autre exprime son souhait de ne plus faire semblant, de ressentir ce que les humains éprouvent, vivent. Apprivoiser le désir, les sentiments, endosser la matérialité de l'être, de l'existence…

Au fil de cette errance bienveillante, les anges, ombres solitaires, côtoient la solitude au travers de personnages à l'empreinte existentielle incertaine. De bibliothèque en piste de cirque, l'incommunicabilité entre les êtres semble régner. Que ce soit le musicien ou la trapéziste, tous semblent enfermés dans leur tour d'ivoire. Mais si le musicien use d'une forme d'expression qui possède une capacité à rompre la glace, la trapéziste est en recherche d'un devenir, d'une quête qui donnerait un sens à sa vie, comme une envie d'amour.

Camille Voitellier est une Marion à la fois volontaire, présente et par moments évanescente, belle et solitaire trapéziste avec ses petites ailes blanches, accessoires de son numéro en répétition. Ses enchaînements au trapèze, de suspensions en chutes maîtrisées, sont faits de mouvements doux, sensuels, au ralenti, empreints d'une certaine langueur, entre rêve et mélancolie.

© Thomas Cauchard.
© Thomas Cauchard.
L'ange Damiel (Christophe Laparra), dans sa recherche d'incarnation, trouve dans sa rencontre avec la beauté circassienne les raisons de l'abandon de sa nature divine, voulant sentir en lui la sève érotique, propre aux humains dans le berceau de l'amour. La musique sera aussi un élément déclencheur car, comme langage universel, elle porte toutes les vibrations, toutes les expressions des sentiments, de l'intime au communautaire.

Puis l'ange tombe du ciel, perd son statut volant, ailé. Commence l'apprentissage de notions jusqu'alors inconnues, de la passion au manque, en passant par la communication amoureuse. Dans l'orchestration de leurs approches, c'est Marion qui va vers lui, faisant jaillir un flot de paroles enthousiastes, de désir dévoilé, d'espérance presque juvénile et aussi tellement féminine - dans toute la noblesse et la beauté que ce mot peut comporter.

Alors que l'ange déchu, maladroit, ne sait pas comment il doit faire. Grâce à un jeu expressif, sa maladresse, sa timidité sont réellement crédibles, construits sur la méconnaissance concrète qu'il peut avoir de l'autre, du fait d'un manque total d'expérience "humaine". Son étonnement est à la fois plein de passion, d'exaltation et d'innocence. L'interprétation de Christophe Laparra est précise et pleine de subtilité. Un ange passe… comme un frisson dans la salle !

L'adaptation et la mise en scène de Marie Ballet souffrent de quelques longueurs… mais l'ensemble est au final assez réussi… comme une étrange poétique de la solitude et de l'un de ses remèdes, l'amour… Une mélodie qui nous happe, nous captive, nous surprend à rêver, à vouloir se laisser pousser des ailes, à voler de nouveau pour une aventure amoureuse que l'on voudrait sans cesse renouvelée…

* Le film est sorti en 1987 mais il a bénéficié d'une restauration et une nouvelle sortie a eu lieu en avril 2018.

"Les Ailes du désir"

© Thomas Cauchard.
© Thomas Cauchard.
D'après le film de Wim Wenders.
Scénario original : Wim Wenders, Peter Handke et Richard Reitinger.
Adaptation : Marie Ballet.
Mise en scène : Marie Ballet.
Assistante à la mise en scène : Anne Peri.
Avec : Christophe Laparra (Damiel), Stéphane Léchit (Le musicien), Paul Nguyen (Cassiel) et Camille Voitellier (Marion).
Musiques originales : Stéphane Léchit, Lumières : Lucie Joliot.
Régisseur général : Xavier Bernard-Jaoul.
Le scénario original du film "Les Ailes du désir" est représenté en France par L’Arche,
agence théâtrale.
Durée : 2 h sans entracte.
À partir de 15 ans.
Production Cie Oui Aujourd’hui.

Du 24 janvier au 3 février 2019.
Du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 16 h.
Théâtre 13 Seine, Paris 13e, 01 45 88 62 22.
>> theatre13.com

Gil Chauveau
Vendredi 1 Février 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024