La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Duras-Platini" Morceau d'anthologie culturelle d'où se dégage, subtilement, une idée de la solitude

Décembre 1987. La célèbre romancière, Marguerite Duras reçoit Michel Platini, le non moins célèbre joueur de football, champion d'Europe, dans les bureaux du journal "Libé" lors d'un entretien de plus d'une heure. Ils échangent, digressent, s'appréhendent, se découvrent, parlent de football, de littérature, d'Italie, du drame du Heysel et… d'angélisme. Convoquée sur scène, la parole de ces deux monstres sacrés vient croiser les fantasmes de l'acteur et de l'actrice qui s'en emparent et rejouent le match.



© Maléna Bérenguer Logerais.
© Maléna Bérenguer Logerais.
Ce n'est pas la première fois que ce célèbre entretien "Duras-Platini" est adapté au théâtre. On peut avoir entendu parler de l'adaptation par Guy Naigeon au Nouveau Théâtre du 8e à Lyon, il y a plusieurs années, ou encore de celle de Mohamed El Khatib, au Studio 118 de la Maison de la Radio en 2019 avec Anne Brochet et Laurent Poitrenaux. Et peut-être d'autres encore que nous ignorons…

Michel Platini est face à la célèbre romancière qu'il ne connaît pas et dont il n'a jamais entendu parler ! Il vient de prendre sa retraite et, à cette occasion, a sorti un livre sur sa carrière, "Ma vie comme un match".

Mais, au terme de cette interview qu'il a acceptée – parce que, dira-t-il, il aime être interrogé par des personnes qui ne s'y connaissent pas en foot –, il dira que cette heure passée avec Duras a été bien plus dure que n'importe quel match de sa carrière (sic).

La confrontation de ces deux monstres sacrés a pu interpeller, peut-être même faire sourire, et on peut se demander, surtout, ce qui a bien pu pousser la célèbre romancière qui vient de publier "L'Amant", à interroger ainsi un joueur de football, aussi célèbre soit-il ! Après Michel Platini, Duras convoquera François Mitterrand…

© Maléna Bérenguer Logerais.
© Maléna Bérenguer Logerais.
Cette fois-ci, dans cette salle "Marie Curie" de la Reine Blanche, ce sont une comédienne et un comédien qui s'y collent. Neil-Adam Mohammedi, né en 1997 à Montréal, qui, avant de rentrer au CNSAD, a fait partie de la saison 4 de 1er Acte, ce qui lui a permis de rencontrer Stanislas Nordey, Anne Mercier et Olivier Py. Passionné d'écriture, de voyages et de fictions (tous genres confondus), Neil-Adam a déjà écrit trois pièces et plusieurs scénarios.

Je me souviens du jeune élève Neil, en classe de 4e au Collège Maréchal Leclerc de Puteaux, il y a plusieurs années. Un peu secret et réservé, à la limite d'une certaine suffisance, mais somme toute très subjective, quelque chose en lui m'interpellait déjà, mais j'étais loin d'imaginer un jour qu'il afficherait autant de prestance et de charisme sur un plateau de théâtre… Même si quelque chose en mon for intérieur me faisait croire qu'il aurait un bel avenir sans savoir encore lequel, forcément !

Gageons que Michel Platini, dans cette adaptation ô combien émouvante de l'entretien, serait fier de l'incarnation qui est portée ici par ce jeune talent ambitieux. Le spectacle débute par une parole nette et captivante qu'il interprète de façon très convaincante en reprenant intégralement les premières pages du livre autobiographique de Platini. C'est empreint d'une grande tendresse et dès les premiers instants, le comédien parvient à captiver l'attention des spectateurs.

"Il y a quelque chose en lui de Platini "… Ce ne sont pas les paroles de la chanson bien connue, mais c'est la réalité. Brun, aux cheveux ondulés et au regard noir perçant, Neil-Adam a incontestablement quelque chose de Michel Platini et, dans son interprétation, les mots sonnent fort justement, sans failles. L'incongruité dont on a pu parler autour de cette interview qui, au bout du compte, se révèle être davantage un entretien, est ici rapidement balayée grâce à l'interprétation des acteurs et actrices. Il suffit d'assister à la représentation pour balayer cette idée préconçue. Ces deux intelligences si différentes furent finalement en totale union et complicité, et les interprètes, appuyés(es) par la scénographie, le restituent bien joliment.

Neil-Adam Mohammedi campe parfaitement un Platini peu impressionné par la célèbre femme de lettres. Il ne la connaît pas et n'a donc aucune raison d'être impressionné ! Le comédien parvient, par moments, à convoquer de façon subtile un détachement apparent qui cache un grand professionnalisme. Un moment de bravoure particulier apparaît lorsqu'il énumère brillamment les différents trophées remportés par Platini, chacun accompagné de leurs années respectives !

Cyrielle Rayet, quant à elle, porte la parole de Marguerite Duras. De son côté, rien de son physique ne rappelle celui de la célèbre romancière. Silhouette fine aux longs cheveux auburns, elle parvient, elle aussi, à marquer de nombreux buts avec élégance, dans la retranscription des paroles prononcées par Duras grâce à une gestuelle calibrée et fluide qui apporte au texte quelque chose de presque hypnotique.

© Romy Alizée.
© Romy Alizée.
Née à Albi, c'est au cours Florent qu'elle rencontre Simon Eli Galibert avec qui elle travaillera sur plusieurs créations, ainsi que Laure Marion. À ses côtés, elle crée le Collectif Louves avec neuf autres comédiennes. En 2015, elle intègre le TNB où elle explore et développe une recherche autour de la corporalité.

La jeunesse de ces deux interprètes confère à ce spectacle quelque chose d'intemporel, porté par des propos forts, justement mis en valeur et ingénieusement scénographiés par la jeune metteuse en scène et comédienne, Barbara Chenu, à la tête de la Compagnie Sochin. L'idée de placer le public face à face, sur des bancs en bois comme sur des gradins, est pertinente et, pour peu qu'on n'ait jamais assisté à un match de foot de notre vie, on se sent immédiatement projeté dans un stade. Le bruit et les hurlements en moins.

Un carré de pelouse synthétique semblable à un tatami de karaté trône au milieu du plateau et autour de lui, des dalles encastrables en mousse rouges et bleues évoquent subtilement le terrain de foot. C'est sur cet espace que les deux partenaires vont évoluer de façon juste et élégante.
Louis Ripault, à l'intelligente dramaturgie, nous faire revivre ce morceau d'anthologie culturel français, duquel se dégage aussi, de façon nette et récurrente, l'idée de solitude, pour peu qu'on tende bien l'oreille… Tant du côté de Duras que de Platini.

On peut donc être célèbre, adulé, au firmament de la gloire, et n'en rester pas moins profondément humain avec tout ce que cela signifie.

"Duras-Platini Son match le plus dur"

Texte : d'après l'interview des 14 et 15 décembre 1987 publiée dans Libération.
Mise en scène : Barbara Chanut.
Avec : Barbara Chanut, Liza Lamy, Neil-Adam Mohammedi et Cyrielle Rayet.
Dramaturgie : Louis Ripault.
Régie générale et co-création lumière : Clément Balcon.
Co-crétion et régie lumière : Rose Bienvenu.
Création sonore : Liza Lamy + Collectif Vel.Cro.
Conseils costumes : Lucie Duranteau.
Production : Compagnie Sochin.
Durée : 1 h 20
Le spectacle a reçu le label "Olympiade Culturelle" de la part de Paris 2024.

Du 25 octobre au 26 novembre 2023.
Mercredi et vendredi à 21 h, dimanche à 18 h.
Théâtre de la Reine Blanche - Scène des Arts et des Sciences, Paris 18e, 01 40 05 06 96.
>> reineblanche.com

Brigitte Corrigou
Mardi 21 Novembre 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024