La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

L'imaginaire au pouvoir dans un jeu de fausses pistes et une partition amoureuse des mots

"Tendresse à quai", Studio Hébertot, Paris

Cela commence souvent comme ça, une histoire, par une petite phrase jetée, maladroite, en l'air ou sur le papier. Une inconséquence, un aveu d'impuissance, une mégarde. Une idée qu'on se dit à soi-même, qui normalement traverse le présent pour s'enfoncer dans le passé et sur laquelle on s'arrête soudain et qui se met à divaguer une suite, un personnage, des événements, pour à la fin créer une pièce de théâtre légère comme un nuage de fumée.



© Léonard.
© Léonard.
"Je n'ai jamais réussi à commencer une histoire…", c'est ainsi, ou à peu près, que la pièce commence. Écrite comme un livre, elle a été précédée comme dans toute édition qui se respecte par une citation projetée sur le ciel tourmenté de la toile de fond : un extrait d'un poème de Mallarmé. Mais l'auteur, qui parle à travers la bouche du comédien, qui s'adresse directement au public (et qui est effectivement l'auteur de la pièce, Henri Courseaux), n'en est qu'à ses débuts de ses doutes d'écrivain. Car il va s'agir de cela durant toute la pièce : de l'écriture, de ses conséquences, de ses possibles et de ses difficultés.

Mais rien qui ressemble à une conférence ici, tranquillisez-vous. C'est l'imaginaire en marche que l'auteur a voulue montrer sur scène, l'invention d'une histoire, l'affabulation et, pour finir, la prise de pouvoir des inventions sur la vie réelle, des personnages imaginaires sur les existants.

© Léonard.
© Léonard.
Avec une dérision extrême et un plaisir du verbe sans retenue, Henri Courseaux a troussé là un texte très ingénieux, qui joue avec les vraisemblances mais parvient à nous faire vivre la rencontre entre ce vieil écrivain en perte de vitesse et une jeune femme, portrait de la femme active actuelle. Car le fond de ce conte étrange et assez merveilleux réside dans cette confrontation du grand âge à la jeunesse, d'un monde ancien à un monde nouveau : heurt des mœurs, des langages, des manières.

Il y a une jubilation énorme dans le jeu de l'auteur, un plaisir du mot, et un talent d'acteur qui provoquent rires et connivence, qui, par moments, devient également pur jeu de l'esprit, un peu gratuit. Face à lui, Marie Frémont incarne différents personnages mais essentiellement la jeune femme source d'une idylle impossible. Elle fait preuve, à mesure que l'histoire avance, d'une belle palette d'interprétation et tient tête sans aucun problème au charisme de son acolyte.

Tous deux parviennent à faire de cette pièce un moment de rire, de rire intelligemment, une fantaisie, légère, tendre et nostalgique.

"Tendresse à quai"

© Léonard.
© Léonard.
Texte : Henri Courseaux.
Mise en scène et scénographie : Stéphane Cottin.
Avec : Henri Courseaux et Marie Frémont.
Chorégraphies : Jean-Marc Hoolbecq.
Lumière : Marie-Hélène Pinon.
Son : Michel Winogradoff.
Costumes : Chouchane Abello Tcherpachian.
Production Léo Théâtre et Les Productions du Dauphin.
Durée : 1 h 40.

29 août au 18 novembre 2018.
Du mercredi au samedi à 21 h, dimanche à 14 h 30.
Studio Hébertot, Paris 17e, 01 42 93 13 04.
>> studiohebertot.com

Bruno Fougniès
Lundi 10 Septembre 2018

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024