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Festivals

Festival Trente Trente… Sur chaque édition, j'écris ton nom : "Liberté" !

Si Paul Éluard, aux heures noires de l'occupation, calligraphiait les lettres de son poème "Liberté" (Poésie et vérité 1942 - recueil clandestin), devenu cri de ralliement de tous les peuples en lutte, Jean-Luc Terrade, lui, convoquait - pour sa présentation à la presse de la 17e édition des Rencontres de la Forme courte de Bordeaux Métropole (du 21 janvier au 1er février) - une autre figure emblématique de la liberté, Claude Régy.



"Existe en ciel" © Pierre Planchenault.
"Existe en ciel" © Pierre Planchenault.
Et que l'on n'y voie pas là un quelconque opportunisme lié à la disparition médiatisée du metteur en scène, mais l'écho d'approches artistiques répondant à la même exigence. L'un et l'autre ont toujours mis au centre de leur engagement les valeurs de liberté, tant celle requise pour les créateurs que celles proposées au public. Un spectateur non plus considéré comme un consommateur à gaver de distractions anesthésiant son sens critique, mais, une femme, un homme, libre de construire (ou pas…) elle-même, lui-même, un sens qui lui soit personnel.

Cet art "fait pour déranger, pour provoquer" implique en effet une règle du jeu incontournable : le mystère de la création se partage entièrement avec le spectateur, le sens n'est pas une donnée intangible mais résulte de l'interprétation singulière du regardant. Nul doute que la trentaine de formes courtes "inclassables" - cirque, danse, installation-performance, musique, cinéma, théâtre - va faire souffler sur la Nouvelle Aquitaine un vent décoiffant qui, d'année en année, est attendu par tous les "amateurs" d'arts vivants.

Deux soirées à La Manufacture CDCN de Bordeaux pour donner le tempo…

"BSTRD"

"BSTRD" © Pierre Planchenault.
"BSTRD" © Pierre Planchenault.
Dans "BSTRD", la danseuse et chorégraphe grecque Katerina Andreou se lance à corps perdu dans une confrontation "animale" avec la musique électronique répétitive semblant s'échapper d'une platine vinyle, maître un temps du jeu. Sujette aux injonctions du rythme imposé, elle devient miroir de "la voix de son maître" jusqu'à s'en éloigner en franchissant les limites du plateau. Affirmant alors sa féminité par un simple trait de rouge apposée sur ses lèvres, elle échappe à son mentor pour mener en toute liberté recouvrée sa danse.

Danse.
Chorégraphie et interprétation : Katerina Andreou.
Création son : Katerina Andreou en collaboration avec Éric Yvelin.
Lumières : Yannick Fouassier.
Régie son : Éric Yvelin.
Regards extérieurs : Myrto Katsiki, Lynda Rahal.
Durée : 42 minutes.
Production Mi-Maï/BARK.

"Blue Prince Black Sheep"

"Blue Prince Black Sheep" © Pierre Planchenault.
"Blue Prince Black Sheep" © Pierre Planchenault.
Sur un texte de Carlotta Sagna, l'espagnol Amancio Gonzalès offre, dans "Blue Prince Black Sheep", un "dé-lire" chorégraphié d'une autofiction où "je/il/elle" - trois facettes fantasmées du même - se livrent à de très libres élucubrations autour de ballerines délivrant ainsi leur secret. Entre prince charmant et mouton noir, l'homme hybride se fait - devient, au propre comme au figuré - homme-ballerine. Un bonus sera accordé ce soir-là, sous la forme d'un impromptu très "classique", montrant s'il en était besoin que la grâce n'est pas à accorder qu'au féminin, elle est aussi masculin(e).

Danse
Concept et chorégraphie : Carlotta Sagna et Amancio Gonzalez.
Texte : Carlotta Sagna.
Interprétation : Amancio Gonzalez.
Musique à partir de Alan Langford, The Besnard Lakes, Red Hot Chili Peppers.
Lumières : Ulli Stephan.
Durée : 30 minutes.
Production : Amancio Gonzalez et Carlotta Sagna.

"Foghorn"

"Foghorn" © Pierre Planchenault.
"Foghorn" © Pierre Planchenault.
Cette pièce de Jeanne Brouaye présente une scénographie visuelle attrayante avec ses architectures de maisons miniatures alignées avec soin, avant d'être mises rageusement à mal. Deux humains, guidés par des voix intérieures et entravés dans des lacis de laine colorés, peuplent cet espace construit de toutes pièces en tentant de trouver le chemin de leur libération. Mais si - comme Nietzsche avançant que c'est en déconstruisant qu'on découvre les mécanismes de la construction - cette "forme courte" est porteuse d'intentions élevées, le résultat n'est lui "visiblement" pas à la hauteur. Son format de plus s'étirant en longueur, cette "corne de brume" semble avoir pour effet de nous laisser sur la rive, dans une zone de brouillard peu propice au dérèglement des sens.

Pièce pour deux interprètes, leurs vêtements et deux tas de laine.
Conception : Jeanne Brouaye.
Interprétation : Jeanne Brouaye, Anthony Breurec.
Création sonore : David Guerra, Jeanne Brouaye.
Création lumière : Alice Panziera.
Costume : Marjorie Potiron.
Conseillère dramaturgique : Camille Louis.
Durée : 40 minutes.
Production et accompagnement artistique : boom’structur (Clermont-Ferrand).

"Dans ma chambre - Épisode 2"

"Dans ma chambre - Épisode 2" © Pierre Planchenault.
"Dans ma chambre - Épisode 2" © Pierre Planchenault.
Déjà présenté - et chroniqué dans ces colonnes - lors de la soirée inaugurale de Trente-Trente à Boulazac, cette proposition offre la belle opportunité de retrouver la Cie Mathieu Ma Fille Foundation, invitée fidèlement depuis 2012 par Jean-Luc Terrade. Après notamment le prodigieux (sic) "Dad is Dead" où, sur une bicyclette tournant en rond, Arnaud Saury et son complice d'alors refaisaient le monde, le duo présent offre à Édouard Peurichard - acrobate, lanceur de couteaux - l'occasion d'une amitié à couteaux tirés avec l'acteur… Sous l'humour, à fleur de peau, transparaît toujours et encore le soin des autres. Du bel ouvrage.

Théâtre/Cirque.
Compagnie Mathieu Ma Fille Foundation, Marseille.
Conception : Arnaud Saury.
Écriture et interprétation : Arnaud Saury et Édouard Peurichard.
Lumière : Zoé Dada.
Son : Manuel Coursin.
Régie générale : Paul Fontaine.
Durée : 40 minutes.
Production Mathieu Ma Fille Foundation - Marseille.

"Existe en ciel"

"Existe en ciel" © Pierre Planchenault.
"Existe en ciel" © Pierre Planchenault.
Évoquant la forme parfaite du cercle de la roue Cyr contenant l'existence tout en l'élevant aux courbures de la voûte céleste, le titre est en lui seul une création humaine ouvrant sur l'espace à conquérir. Théo Touvet - et c'est là sa marque de fabrique - allie à ses qualités exceptionnelles de danseur et voltigeur hors-sol, la puissance d'un intellect aiguisé l'amenant (cf. l'époustouflant "Embrase-moi" présenté l'an dernier avec sa compagne Kaori Ito dans ce même festival) à transcender le point de vue commun pour en extraire la substantifique essence. En cinq minutes, pas une de plus, sur des partitions envoûtantes de Bach, Beethoven, Debussy entre autres, et des extraits de Barjavel, il nous comble de ses arabesques subtiles dessinant avec force et grâce - masculin et féminin ne faisant qu'un - le combat d'un Sisyphe atemporel.

Épure artistique d'une beauté plastique ne cédant rien à la puissance du message distillé en filigrane, "Existe en ciel" renvoie à l'existentielle nécessité d'être… "le dur désir de durer" du poète Paul Éluard.

Roue Cyr.
Conception et interprétation : Théo Touvet.
Texte en voix off : René Barjavel, fragments extraits de "La faim du tigre".
Son : Séverine Chavrier et Philippe Perrin.
Durée : 5,30 minutes.

Fragments musicaux extraits de :
Johann Sebastian Bach, Le Clavier bien tempéré, prélude ;
Ludwig van Beethoven, Quatuor à cordes n° 13 en si bémol majeur, opus 130 ;
Claude Debussy, Études pour piano ;
Philippe Perrin, nappe ;
Anton Webern, Cinq Lieder, opus 4 ;
Anton Webern, Cinq Mouvements pour quatuor à cordes, opus 5.

Ces formes courtes ont été présentés les 22 et 24 janvier 2020 à La Manufacture CDCN de Bordeaux.
>> Plus d'infos sur Trente Trente

Yves Kafka
Mercredi 29 Janvier 2020

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À découvrir

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
06/03/2024
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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023