La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Festivals

Festival Trente Trente "Nartiste", "En Outre", "I.O", "Lontano", des circassiens en recherche… et une roue Cyr flamboyante en guise de point final

Pour conclure la 19e édition des Rencontres de la forme courte en Nouvelle-Aquitaine, un bus avait été affrété reliant Bordeaux à L'Agora-Pôle National Cirque de Boulazac en Dordogne. Là, nous attendaient quatre performances toutes frappées du sceau d'une recherche échappant aux attendus du genre, l'une d'entre elles cependant se détachant du lot… Bouquet final d'un festival ayant ménagé une pléiade de sensations fortes, "Lontano" nous a particulièrement "enrôlés" tant les prouesses de la circassienne, domptant sa roue Cyr avec une énergie sans commune mesure, furent de nature à ravir nos sens.



"Nartiste" © Pierre Planchenault.
"Nartiste" © Pierre Planchenault.
"Nartiste", de et avec Jérôme Galan. Quand un artiste circassien n'ayant pas froid aux yeux transgresse allègrement le réel pour se mirer dans le miroir central où se dresse habituellement le mât chinois, Narcisse et lui ne font plus qu'un… Le mot-valise du rôle-titre naît de cette rencontre improbable entre un voltigeur défiant les lois de la gravité et un espace circulaire propre à "réfléchir" sa recherche.

Comme le ferait un papillon de nuit attiré par la lumière, Nartiste s'emploie à tourner autour d'elle avant de s'élancer vers sa source hautement située. Suspendu alors à des sangles qu'il manipule comme autant de poulies le hissant vers le Graal, il tournoie en tous sens, accroché par les pieds, tête en bas se reflétant en son beau miroir… Ainsi, virevoltant comme une flamme, son corps réfléchi se fond dans la petite musique aérienne. Une recherche poétique d'une grâce prométhéenne prometteuse…

"En Outre" © Pierre Planchenault.
"En Outre" © Pierre Planchenault.
"En Outre", de et avec, Marie Jolet et Julien Vadet. Complices comme pas deux, Marie et Julien - ainsi ensemble saluent-ils leur public - instillent à tour de rôle réflexions et actions remettant en cause l'ordre immuable du monde… Invité à entrer de plain-pied dans les coulisses de leur création à vue, on assiste aux étapes du nouveau process. Comme une voix off qui commenterait en direct les réflexions de la circassienne, elle analyse à haute voix la pseudo-fragilité de son corps féminin confronté à celui imposant du circassien. Actant cette découverte, c'est à elle à qui reviendra désormais le privilège de porter sur ses jambes-piliers tendues en l'air le poids de son partenaire assis sur son trône.

Femme puissante, elle le sera aussi dans les tableaux vivants qui s'ensuivent où, quoique plus menue que lui, c'est elle qui prendra soin du porter, renversant de la sorte les propositions conventionnelles. Avec humour et tendresse, en toute complicité, le couple construit avec application un nouvel espace ludique ouvrant sur un autre type de relations entre circassien et circassienne… Débordant le cadre de la piste de cirque, c'est la relation entre hommes et femmes qui se trouve ainsi "innocemment", mais inflexiblement, questionnée.

"I.O" © Pierre Planchenault.
"I.O" © Pierre Planchenault.
"I.O", de et avec Jani Nuutinen. Émergeant de l'ombre qui le recouvrait, un géant barbu à l'air débonnaire, portant deux jarres en verre accrochées à chaque extrémité d'une grande perche posée en équilibre sur son épaule, pourrait faire penser à un porteur d'eau sorti des brumes d'un conte nordique… Très vite, il se déleste de ses récipients pour faire de sa perche (I) et d'un cerceau (O) les instruments dont il joue pour créer un monde de sensations visuelles et sonores. Entre ses mains magiques, la perche en bois dotée d'une petite fourche métallique à son extrémité devient le bâton d'un sorcier domptant un cerceau métallique auquel il imprime des figures, au sol ou aériennes, avec lesquelles son corps compose.

Alchimie de mouvements mise en valeur par un jeu subtil de lumières et d'ombres que la musique envoûtante et répétitive, associée aux grincements métalliques de la fourche et du cerceau, rend encore plus suave. Si la répétition des mêmes figures nimbées de jeux de lumières et soutenues par des sons enivrants crée sans conteste un effet hypnotique désirable, elle n'est pas sans créer non plus une certaine lassitude… Comme si une attente restait en suspens…

"Lontano" © Pierre Planchenault.
"Lontano" © Pierre Planchenault.
"Lontano" de Marica Marinoni et Juan Ignacio Tula constitue sans nul doute le clou de cette soirée circassienne, alliant qualité d'exécution et engagement total dans un trip hallucinatoire. Irrésistiblement aspirés par le combat - c'en est un - que la circassienne livre avec sa roue Cyr, tantôt vécue comme une alliée lui permettant d'aller toujours "plus loin" dans l'exploration de l'espace et de ses propres capacités remises en jeu, tantôt comme une rivale qu'il convient coûte que coûte de soumettre à sa volonté, nous vivons cette joute aux confins de ses forces comme étant la nôtre. Il faut dire que dans cet exercice Marica Marinoni excelle, tant le rapport sensible et puissant qu'elle entretient avec son instrument est époustouflant.

Apprivoisant la roue Cyr, elle lui insuffle des mouvements légers avant de faire corps littéralement avec elle pour faire voler en éclats les lois de la pesanteur terrestre. Et lorsque, telle une bête sauvage, cette dernière lui échappe, la lutte "organique" en devient plus âpre. Jusqu'à la boxer. Jusqu'à épuisement. Au sol et exténuée, la circassienne reprend son souffle… avant de se saisir à nouveau de sa monture, de la chevaucher afin de se propulser grâce à elle dans un monde vertigineux.

Les acclamations diffusées résonnent alors comme les vivats de spectateurs saluant la victoire de sa protégée dans ce corps-à-corps dantesque, amplifié encore par les musiques stéréoscopiques et les arias d'opéra. Une "lutte vitale" aux limites de l'extrême pour glorifier le combat de toute vie engagée hors des sentiers tracés. Un condensé au final de ce que fut ce festival nous ayant conduits vers des horizons sans commune attente.

Ces quatre spectacles ont été vus dans le cadre du Festival Trente Trente de Bordeaux-Métropole-Boulazac le jeudi 10 février 2022 à l'Agora PNC Boulazac. Le premier sous chapiteau, plaine de Lamoura, à 19 h 40, le deuxième au Cube Cirque à 20 h, les troisième et quatrième à l'Auditorium, successivement à 21 h 30 et 22 h 10.

"Nartiste" © Pierre Planchenault.
"Nartiste" © Pierre Planchenault.
"Nartiste"
Étape de travail.
Création prévue en octobre 2022.
Cirque - Sangles aériennes - Nouvelle-Aquitaine (Bordeaux).
De et avec : Jérôme Galan.
Régisseuse générale : Zélie Abadie.
Créateur son : Paul Galéron.
Créateur lumière : Yann Martinez.
Production Compagnie Quotidienne.
Durée : 10 minutes.

"En Outre" © Pierre Planchenault.
"En Outre" © Pierre Planchenault.
"En Outre"
Création - Cirque - Île-de-France (Paris).
De et avec : Marie Jolet et Julien Vadet.
Aidé de : Bastien Mignot, Frédéric Arsenault , Arnaud Ferrera et Lauriane Houbey.
Produit par Full Full avec Manon Durieux.
Durée : 40 minutes.

"I.O" © Pierre Planchenault.
"I.O" © Pierre Planchenault.
"I.O"
Cirque - Nouvelle-Aquitaine (Nexon).
Conception, scénographie et mise en scène : Jani Nuutinen.
Interprétation : Jani Nuutinen.
Costume, lumière : Jani Nuutinen.
Collaboration à la mise en scène, chorégraphie : Julia Christ.
Création musicale : Cosmic Neman.
Conseillers techniques : Gautier Devoucoux et Chloé Levoy.
Réalisations électroniques : Marin Scot.
Production Circo Aereo.
Durée : 30 minutes.

"Lontano" © Pierre Planchenault.
"Lontano" © Pierre Planchenault.
"Lontano"
Étape de travail.
Création prévue en mars 2022.
Cirque - Roue Cyr - Auvergne-Rhône-Alpes (Lyon).
Co-création : Marica Marinoni et Juan Ignacio Tula.
Avec : Marica Marinoni.
Création lumière : Jérémie Cusenier.
Création sonore : Estelle Lembert.
Création costumes : Gwladys Duthil.
Compagnie 7Bis.
Durée : 20 minutes.

Festival Trente Trente,
19e Rencontres de la forme courte dans les arts vivants.

Se sont déroulées du 18 janvier au 10 février 2022.
>> trentetrente.com

Yves Kafka
Jeudi 24 Février 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024