La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Le Roi Lear"… Conte en contemporain

Classique d'entre les classiques, Georges Lavaudant s'attaque, pour la troisième fois, à cette "pièce-monde" avec une distribution remarquable de comédiens dont Jacques Weber dans une mise en scène où il met en valeur la contemporanéité de l'œuvre, au travers de ces intrigues qui, au fil des siècles, peuvent toujours trouver un écho.



Jacques Weber et, au second plan, Grace Seri et Thomas Trigeaud © Jean-Louis Fernandez.
Jacques Weber et, au second plan, Grace Seri et Thomas Trigeaud © Jean-Louis Fernandez.
"Le Roi Lear" est considéré par beaucoup de critiques théâtraux et littéraires comme l'œuvre la plus aboutie de Shakespeare. Supposée avoir été écrite sur trois années (1603-1606) et jouée le 26 décembre 1606 devant Jacques 1er (1567-1625), roi d'Angleterre et d'Irlande, mais aussi d'Écosse sous le nom de Jacques VI, elle mêle intrigues politique et familiale avec deux trames qui se superposent et se renforcent.

Avec cette pièce, Jacques Weber, après "Cyrano de Bergerac" en 1990, s'attaque à un autre pic théâtral. La modernité de celle-ci frappe dès les premiers instants avec des costumes, de ville souvent, très contemporains. Le noir et le blanc sont les deux couleurs qui dominent la scénographie comme le revers et l'avers d'une même face, celle d'une passion humaine où le pouvoir de Lear (Jacques Weber) est soutenu par la fidélité de Gloucester (François Marthouret) en dépit de Kent (Babacar M'Baye Fall) son supérieur. L'amour filial, le désamour et la trahison restent aussi les axes de cette création avec, pour la dernière, Edgar (Thibault Vinçon), le fils illégitime contre son père Gloucester.

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Le personnage éponyme est incarné dans la force, le combat, la maladie et la mort où différents tableaux jalonnent la représentation, entrecoupée par un voile de couleur ocre brillant suspendu à un simple fil. Ainsi la scénographie montre l'autre pendant du théâtre, celui du vide dans lequel rien ne se passe. La scène est délimitée ainsi par une aire de jeu ne recouvrant pas toute son étendue. Comme si cet entre-soi était le lieu d'une "confession", d'un aparté rendu secrètement publique. Georges Lavaudant amène le public à entrer dans des propos qui ont une connotation confidentielle. Ce qui se dit semble être parfois uniquement pour l'oreille attentive du spectateur.

Le jeu de Weber est dans une plénitude d'émotions, d'action, d'abattement, de déception et de réconciliation. Passant d'un registre à l'autre, il incarne, via son personnage, une large gamme de sentiments, en donnant en partage son royaume à ses trois filles, mais Cordélia (Bénédicte Guilbert), sa préférée, lui avoue sobrement qu'elle devra un jour la moitié de son amour à un futur mari bien qu'elle aime sincèrement son père. C'est sur cette principale trame, une franchise que n'apprécie guère ce dernier, que toute l'intrigue se joue.

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
C'est un rapport au verbe où, même si une séquence met en scène un duel à l'épée plutôt théâtral, des répliques humoristiques fusent avec d'autres familières autour de la poésie de Shakespeare. Et c'est fait avec beaucoup d'à propos. Le début de la pièce était sous des dehors assez rigides, le contexte s'y prêtant avec une certaine forme de légèreté parfois malgré le contexte. Les trois filles du roi Lear sont très différentes les unes des autres autant par le physique que par l'attitude. On ne s'embarrasse pas de ressemblance qui donne à chacune d'elles une relation au père toujours tranchée comme ne faisant pas partie de la même famille avec Régane (Grace Seri) dans un rapport frontal quand Goneril (Astrid Bas) est plus froide et Cordélia (Bénédicte Guilbert) plus discrète.

Dans la première scène s'avancent tous nos personnages. Ou presque. Au centre, Weber avec sa stature, sans ironie, de commandeur, ou presque, du théâtre Français. Rapport au corps et au verbe haut avec une présence scénique évidente, naturelle. Tout est rupture de jeu.

Chacun semble être son propre îlot, sans recours aucun à implorer un dieu, un maître ou un protecteur même si les intrigues foisonnent. Ils existent dans une relation souvent imbriquée, de tensions, de douleur, de déception mais parfois aussi de légèreté. De même, se dégagent du désespoir, de l'intrigue, de la "folie" comme elle est nommée mais qui ressemble plutôt à une perte de repères.

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Le corporel devient la première signature de toutes ses émotions. Les regards également, souvent intenses. Le toucher, sauf quand il y a duel à l'épée, oscille entre le bannissement, la tape amicale, voire la prise au corps comme celle du père pour sa fille. Mais la distance est de règle, le rapport à l'autre, quand le sentiment existe, est toujours empreint soit d'une suspicion, soit de quelque chose de non évident, peu naturel, voire assez froid. Se tient aussi une dimension politique qui est particulièrement soulignée avec des personnages, dans leur pré carré familial ou extra-familial, qui existent, en dehors de Cordélia, dans une revendication… ou une confrontation. L'autre est un miroir de ce qu'ils peuvent avoir ou non.

La mise en scène est très moderne, dans l'approche du texte notamment qui est parfois un peu bousculée tout en gardant un accent tragique shakespearien souligné par intermittence par de l'humour. Il fallait bien ça pour apporter à la mise en scène ce dernier petit plus, comme un pied-de-nez à cette grande tragédie.

"Le Roi Lear"

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Texte : William Shakespeare.
Mise en scène : Georges Lavaudant.
Assistante mise en scène : Fani Carenco.
Avec : Jacques Weber, Astrid Bas, Frédéric Borie, Thomas Durand, Babacar Mbaye Fall, Clovis Fouin-Agoutin, Bénédicte Guilbert, Manuel Le Lièvre, François Marthouret, Laurent Papot, José Antonio Pereira, Grace Seri, Thomas Trigeaud, Thibault Vinçon.
Créateur son : Jean-Louis Imbert.
Créateur lumières : Cristobal Castillo Mora et Georges Lavaudant.
Traduction et dramaturgie : Daniel Loayza.
Décor et costumes : Jean-Pierre Vergier.
Assistante costumes : Siegrid Petit-Imbert.
Maquillages, coiffures et perruques : Sylvie Cailler et Jocelyne Milazzo.
Maître d'armes : François Rostain.
Durée : 3 h 20 (avec un entracte de 20 minutes).

Du 3 au 28 novembre 2021.
Du mardi au samedi à 19 h, dimanche 15 h.
Théâtre de la Porte Saint-Martin (Théâtre de la Ville hors les murs), Paris 10e, 01 42 74 22 77.
>> theatredelaville-paris.com

Tournée
7 décembre 2021 : Théâtre Edwige Feuillère, Vesoul (70).
Du 14 au 21 octobre 2022 : La Criée - Théâtre national, Marseille (13).
Du 5 au 20 novembre 2022 : TNP, Villeurbanne (69).

Safidin Alouache
Mercredi 17 Novembre 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024