La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Fauves"… Instinct des mots et des dits

"Fauves", Théâtre de la Colline, Paris

Wajdi Mouawad signe une belle création où le rapport à l'autre et à soi est posée. C'est une mise en abyme d'échecs, d'oublis, de relations imbriquées et compliquées dans un effet de double hélice, comme le rappelle l'auteur, entre ce que les protagonistes sont et ce qu'ils auraient été.



© Alain Willaume/Tendance Floue.
© Alain Willaume/Tendance Floue.
Cela débute par une scène qui se répète trois fois pour venir se juxtaposer avec les suivantes. Un démarrage digne du théâtre de l'absurde, comme celui de Ionesco (1909-1994), coutumier du fait. Une bifurcation fait continuer le premier tableau pour le faire basculer dans une autre situation. C'est une imbrication d'un morceau de vie, d'un nœud, que le protagoniste principal, Hippolyte (Jérôme Kircher), doit porter avec lui tel un fardeau. Les scènes se superposent, traversant des frontières autant géographiques que temporelles.

Cette construction se réitère à plusieurs reprises. Elle est le ciment de la pièce. Ces redites, ces rejeux sont une façon de créer une sorte de fatalité que les personnages ne peuvent fuir, comme un principe de répétition cher à Freud (1856-1939). C'est aussi une séquence de cinéma, celle d'un meurtre, qui se répète à de multiples reprises tout au long de la pièce entre un couple que fait jouer, en réalisateur, Hippolyte. Elle est vue au travers d'une multitude de prises différentes comme pour porter au pinacle un langage corporel que les mots ne peuvent retranscrire entre un couple parlant une langue et se répondant dans une autre.

Se succèdent un décès, un meurtre, un suicide, un jugement et des attentes. C'est une litanie de souffrances, de non-dits où l'alter ego est ignoré, occulté ou oublié. Celui-ci peut être le fils, la sœur, la mère. La mort et son rappel sont toujours très présents.

© Alain Willaume/Tendance Floue.
© Alain Willaume/Tendance Floue.
La pièce peut être située partout dans le monde mais nous finissons dans l'espace en direction de Mars. Paris et le Bataclan sont évoqués. Le groenlandais est aussi utilisé avec le français et son accent québécois. C'est aussi de l'anglais qui répond au japonais. C'est un ailleurs et un ici qui se mêlent, une fiction, celle de cinéma, avec une réalité, celle du théâtre.

Nous sommes dans des univers et des espaces-temps différents qui se rejoignent. La ligne de jonction est celle d'une rencontre qui ne se fait pas, d'une violence morale et physique qui sépare en les liant des personnages. Ils ne se comprennent pas, tels des fauves qui portent en eux juste leur instinct de survie.

La scénographie est composée de différents blocs de bois qui glissent en se dépliant ou se repliant. Cela file comme quelque chose qui s'échappe, qui fuit. Le plateau devient ainsi mouvant, dynamique, changeant. Aux tons ocre, c'est un véritable camaïeu de marron qui s'étale.

La violence est verbale avec des insultes, quelques propos grossiers et sexuels. Rien n'est lisse, tout est bousculé. Les portes claquent, avec une lumière vive projetée à chaque fois sur celles-ci, pour démarrer un nouveau tableau comme le commencement d'un non-dit qui va se dire, qui s'ouvre vers une mise en situation où le personnage se retrouve à être confronté avec ce qu'il doit être. C'est une représentation de l'échec qui finit sur une note d'espoir où les choses tues sont dites, où les travers sont nommés, où les relations sont verbalisées. Un monde où la parole est le réceptacle de propos trop ou pas assez dits pour qu'advienne un devenir.

"Fauves"

Texte et mise en scène : Wajdi Mouawad.
Assistanat à la mise en scène : Valérie Nègre.
Avec : Ralph Amoussou, Lubna Azabal, Jade Fortineau, Hugues Frenette, Julie Julien, Reina Kakudate, Jérôme Kircher, Norah Krief, Maxime Le Gac‑Olanié, Gilles Renaud, Yuriy Zavalnyouk.
Dramaturgie : Charlotte Farcet.

Conseil artistique : François Ismert.

Musique originale : Paweł Mykietyn.

Scénographie : Emmanuel Clolus assisté de Sophie Leroux.
Lumières : Elsa Revol.
Son : Michel Maurer assisté de Sylvère Caton.

Costumes : Emmanuelle Thomas assistée d'Isabelle Flosi.

Maquillage, coiffure : Cécile Kretschmar.

Suivi du texte : Élisa Seigneur-Guerrini.

Traduction japonais : Shintaro Fujii.
Traduction anglais : Ralph Amoussou.
Traduction kalaallisut/groenlandais : Pierre Auzias, Annie Kerouedan.
Voix : Estrella Drouet-Egede, Hugues Frenette, Michel Maurer, Louise Turcot.
Chorégraphie combats : Samuel Kefi-Abrikh.
Coach boxe : Guillaume Hauet.

Interprète polonais : Maciej Krysz.
Durée : 4 h entracte inclus.

Du 9 mai au 21 juin 2019.
Du mardi au samedi à 19 h 30, dimanche à 15 h.
La Colline Théâtre national, Grande Salle, Paris 20e, 01 44 62 52 52.
>> colline.fr

Safidin Alouache
Mercredi 29 Mai 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024