La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Festivals

FAB 2021 "Ce qui s'appelle encore peau" et "BôPEUPL (Nouvelles du parc humain)", deux expériences humaines à fleur de peau… pour un résultat en demi-teinte

La Cie Jeanne Simone connue jusque-là pour ces chorégraphies urbaines et Michel Schweizer l'acteur, metteur en scène, chorégraphe et scénographe inclassable, partagent - à distance - plusieurs points communs. Outre le fait d'avoir plongé leurs racines dans le territoire bordelais qui a vu grandir leur art, leurs créations sont traversées par l'exploration des rapports humain/environnement. Dégagés de l'injonction de "faire spectacle", ils ont à cœur de "re-présenter" l'humain dans toute la complexité du vivant.



"Ce qui s'appelle encore peau" © Pierre Planchenault.
"Ce qui s'appelle encore peau" © Pierre Planchenault.
Pour "Ce qui s'appelle encore peau", Laure Terrier et ses quatre complices "sortent" de leur lieu de prédilection - l'espace urbain (cf. "Sensibles quartiers") - pour élire le plateau comme lieu de leurs recherches. Désormais à l'abri des bruits du dehors, dans un environnement sonore qu'ils créent de toutes pièces, ils vont dans une juxtaposition de "tableaux vivants" tenter de mettre à jour les mystères de la peau, cette frontière perméable, lieu d'échanges physiques et sensuels entre soi, les autres et l'environnement.

Entre une caravane posée là et une peinture de nuages en toile de fond, les corps se plaisent à glisser, à s'enjamber, à se regrouper, pour "se découvrir" sensuellement dans des chorégraphies harmonieuses d'où émane le plaisir palpable du contact avec l'autre, semblable et différent. La parole au micro commente les mille et un états de cette membrane tactile, se métamorphosant autant que le désir, et sans laquelle aucun de ces plaisirs ne serait.

"Ce qui s'appelle encore peau" © Pierre Planchenault.
"Ce qui s'appelle encore peau" © Pierre Planchenault.
À la poésie sensuelle des corps vêtus sous lesquels on sent "battre la peau", succèdent nombre de tableaux questionnant le rapport que chacun entretient avec sa nudité. Pour accompagner ce corps-à-corps intime, comédiens et comédiennes s'accordent pour expérimenter face au public ce lien des plus personnels qui les relie à leur enveloppe charnelle dévoilée. Pour ce faire, "l'exposé" du nu n'hésite pas à épouser des figures diverses et variées, portées par les accents d'instruments n'hésitant pas eux non plus à donner de la voix, le tout soutenu par un "dé-lire" poétisant les errements sauvages des "moi peau" mis à nu.

Si l'on ne peut douter de l'engagement des artistes, le ressenti ne semble pas à la hauteur de leur implication. En effet, la juxtaposition, une (longue) heure durant de séquences à portées très inégales - les unes créant une poétique propre à ressentir les battements à fleur de peau, les autres pouvant être apparentées à des parades de foire avec leur cortège de montreurs -, coupe souvent de l'essentiel : explorer sans tabou, mais sans complaisance non plus, les échanges subtils entre l'intérieur et l'extérieur au travers de la membrane ô combien sensible de "ce qui s'appelle encore peau".

"BôPEUPL" © Pierre Planchenault.
"BôPEUPL" © Pierre Planchenault.
"BôPEUPL [Nouvelles du parc humain]" s'inscrit dans le droit fil de "Cheptel", présenté lors de l'édition 2017 du FAB, qui mettait en jeu une communauté de préadolescents dotés d'un kit de survie face au troupeau des adultes pressés dans les travées. Ce titre de "BôPEUPL", claquant de nouveau comme une énigme, traduit à lui seul le désir de Michel Schweitzer de poursuivre inlassablement l'exploration du même bestiaire - celui du vivant - initié naguère par "Fauves", "Primitifs", "Bâtards". En l'occurrence, l'objet élu sera ici le Peuple dans ce qu'il a de plus attachant.

Six représentants (cinq hommes et une femme) de la race humaine, vivants parmi les vivants, sont invités à se raconter par les mots, les corps, les musiques. La mise en récit de leur parcours singulier entrera - ou pas - en résonance avec celle des autres existences afin d'aller vers "l'inséparation", horizon d'attente semble-t-il de ce nouvel opus. Choisis pour le "visage paysage" du monde que chacun représente, pour leur vulnérabilité aussi qui fait naître l'attention, c'est à eux qu'il reviendra de "faire théâtre" en projetant sur scène un rapport au vivant qui soit le plus brut possible, le plus primitif, le plus direct.

"BôPEUPL" © Pierre Planchenault.
"BôPEUPL" © Pierre Planchenault.
Afin de tenter de gommer la ligne de faille qui sépare, comme une fatalité indépassable, les êtres et leur environnement, chacun va dérouler son "propre rapport" dans une urgence à dire prenant tout son temps (oxymore visant à renverser les attendus). En effet, le contrat est que ce show, improvisé à partir d'une écriture le cadrant, soit ressenti comme le chef-d’œuvre indispensable des Compagnons faisant don à leur communauté d'une part d'eux-mêmes pour penser l'Être comme inséparation (cf. le philosophe Dominique Quessada, référence de Michel Schweitzer).

Ainsi, l'un développera son rapport sensible, essentiel, à ses collines colonisées par la soif du profit ; l'autre offrira une chorégraphie "jusqu'à l'os" d'une vitalité à tout rompre ; le troisième endossera la veste d'une popstar contente d'elle-même pour inclure le public dans son trip à deux balles ("numéro" un peu longuet et surtout sonnant moins juste…) ; le quatrième parlera de son plaisir d'être ici, à partir de là où il se trouve (acteur handicapé), dans un désir de se confondre avec le monde ; le cinquième, musicien aux tresses rasta symboles de liberté et de solidarité aux peuples opprimés, fera voyager dans les rues de Port-au-Prince ou de Bogotá à la rencontre des "enfants jetables" livrés aux escadrons du nettoyage social ; le tout sous les yeux d'une très jeune femme à la voix sublime, embrassant l'ensemble de son regard décalé.

"BôPEUPL" © Pierre Planchenault.
"BôPEUPL" © Pierre Planchenault.
Au terme de cette traversée au cœur du "Parc humain", on ressent une double impression. D'abord celle, fort agréable, de retrouver l'ADN de son auteur chevillé au désir de construire une œuvre où l'humain deviendrait l'objet même de la re-présentation théâtrale. Ensuite le sentiment que la philosophie actée dans ce nouvel opus (inspirée de l'inséparation de Dominique Quessada) mériterait d'être approfondie, voire questionnée pour éclaircir une ambiguïté…

En effet, si faire œuvre commune (même si sur le plateau, en dehors des "passerelles", c'est plutôt à une collection de témoignages que l'on assiste…), en rendant perméables l'intérieur et l'extérieur confondus, soulève judicieusement la question des entités closes, on pourrait se demander si l'assimilation des organismes dans la même entité est un horizon enviable… Assimiler, au risque de perdre les singularités liées à chaque parcours, ou intégrer harmonieusement les singularismes dans une société respectueuse des marques d'altérité, afin que différence ne soit plus synonyme de différend porteur de rejet du non semblable . Non, un récit commun à construire "coûte que coûte", mais plutôt des récits identitaires mis en commun, s'enrichissant les uns des autres, sans suprématie des uns sur les autres.

"Ce qui s'appelle encore peau"

"Ce qui s'appelle encore peau" © Pierre Planchenault.
"Ce qui s'appelle encore peau" © Pierre Planchenault.
Création 2021 Première française
Écriture, chorégraphie et interprétation : Laure Terrier.
Écriture et interprétation : Céline Kerrec, Anne-Laure Pigache, Camille Perrin.
Écriture sonore et interprétation : Mathias Forge.
Mise en son : Mathieu Mellec.
Mise en lumière : Franck Besson.
regard textile, Marion Bourdil.
Scénographe : Frédéric Hocké.
Soutiens à l'écriture : Laetitia Andrieu, Lionel Disez.
Durée : 1 h 15.

Vu le samedi 9 octobre 2021 à 16 h à la MECA, Bordeaux, dans le cadre du festival FAB 2021.

Tournée
25 novembre 2021 : L'Empreinte - scène nationale Brive/Tulle, Tulle (19).
17 décembre 2021 : Théâtre à Châtillon, Châtillon (92).
17 mars 2022 : La Mégisserie, Saint-Junien (87).
26 mars 2022 : Culture Commune, Loos-en-Gohelle (62).
Du 29 au 31 mars 2022 : L'Avant-Scène, Cognac (16).

"BôPEUPL (Nouvelles du parc humain)"

"BôPEUPL" © Pierre Planchenault.
"BôPEUPL" © Pierre Planchenault.
Création 2021
De Michel Schweizer/Cie La Coma.
Avec : Aliénor Bartelmé, Patrick Bedel, Marco Berrettini, Jérôme Chaudière, Frank Micheletti, Frédéric Tavernini.
Avec la collaboration du philosophe Dominique Quessada.
Lecture des textes : Pascal Quéneau.
Collaboration artistique : Cécile Broqua.
Scénographie : Éric Blosse et Michel Schweizer.
Travail vocal et musical : Dalila Khatir.
Photographie : Ludovic Alussi, Antoine Herscher, Frédéric Desmesure.
Création vidéo : Manuelle Blanc.
Création lumière : Éric Blosse.
Création sonore : Nicolas Barillot.
Régie générale et suivi de construction décor : Jeff Yvenou.
Régie son : Nicolas Barillot ou Sylvain Gaillard.
Construction décor : Michel Petit.
Accompagnants : Johann Daunoy, Justine Olivereau, Gwendal Wolf.
Durée : 1 h 30.

Vu le vendredi 15 octobre à 20 h à La Manufacture-CDCN, Bordeaux, dans le cadre du festival FAB 2021.

Tournée
23et 24 octobre 2021 : Le T2G, Gennevilliers (92).
6 janvier 2022 : L'Onde théâtre - Centre d'art, Vélizy-Villacoublay (78).
12, 13 et 14 janvier 2022 : Théâtre Centre dramatique national, Lorient (56).
18 janvier 2022 : Espaces Pluriels, Pau (64).
6 et 7 avril 2022 : Les 2 scènes - scène nationale, Besançon (25).

FAB - 6e Festival International des Arts de Bordeaux Métropole.
A eu lieu du 1er au 23 octobre 2021.
>> fab.festivalbordeaux.com

Yves Kafka
Jeudi 28 Octobre 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
06/03/2024
Spectacle à la Une

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023