La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Changer l'eau des fleurs"… Rencontres et notes d'humour au cœur d'un cimetière

Dans une adaptation de Mikaël Chirinian et de Caroline Rochefort du roman de Valérie Perrin "Changer l'eau des fleurs", théâtre et littérature, récit et répliques sont compagnons dramaturgiques d'une histoire qui se déroule dans un cimetière, avec ses découvertes, son humour, ses surprises, ses incompréhensions et ses passés qui rejaillissent au présent.



© Fabienne Rappeneau.
© Fabienne Rappeneau.
Lumière sur Violette Trenet-Toussaint (Caroline Rochefort) assise sous le porche du cimetière de Brancion-en-Châlon, écrit en lettres lumineuses au-dessus d'elle. Violette en est la gardienne. La trame dramaturgique est présentée de façon narrative, les grappes d'informations sont égrenées au fil de l'eau où le spectateur découvre le pourquoi de son métier et la tragédie qui s'y inscrit.

La mort rôde, mais surtout la légèreté, l'humour, les rencontres et les départs d'une vie, d'une ville ou d'un monde. Le récit est plein d'allant, ponctué de deux moments forts, le premier est celui d'une rencontre quand le second est celui d'une retrouvaille venant d'un passé lointain et qui prend son sens pour s'achever définitivement. Celles-ci sont mâtinées d'incompréhensions, de surprises autour de la demande d'une mère, venant de mourir, à son fils, afin que ses cendres ne soient déposées sur une tombe inconnue de celui-ci. Et d'un mari, officiellement disparu et retrouvé.

© Fabienne Rappeneau.
© Fabienne Rappeneau.
L'œuvre est une adaptation du roman éponyme de Valérie Perrin, écrit en 2018. Le cimetière fait quasiment office de demeure de Violette. On ne sait trop où elle habite. Les trois pièces que l'on découvre sous le porche sont-elles sa maison, son lieu de travail ou les deux ? Toute liberté est donnée aux spectateurs de situer les lieux et les époques. C'est aussi dans ces pièces ouvertes, construites avec deux murs latéraux permettant de voir un intérieur assez dénudé, que se découvrent les deux autres personnages, Philippe Toussaint (Frédéric Chevaux en alternance avec Jean-Paul Bezzina) et l'ancien mari de Violette (Morgan Perez ou Mikaël Chirinian).

Tout se joue ainsi dans la loge de la gardienne, ce pré carré autant intime qu'extime, personnel qu'ouvert au public, en vis-à-vis de tombes dont on découvre surtout les fleurs rayonnantes de couleur. La scénographie délaisse ainsi l'aspect mortuaire à ces dernières, le thème de la création n'étant pas un rendez-vous avec le deuil. La loge de la gardienne est comme une passerelle vers un passé qui rejaillit, car provoqué, un futur, où l'on se projette avec difficulté, et un présent, à la fois lourd et léger, que vivent les protagonistes.

Tout est à dessein emmêlé. Les planches sont aussi à géométrie variable dans leurs repères géographiques, étant soit une loge de gardienne, soit un cimetière, soit un garage selon les tableaux. Le déport est effectué par le fil dramaturgique de ce qui est raconté, les décors ne changeant pas tout en gardant leur plus simple expression.

Dans cette histoire à plusieurs entrées, tout se joue assis et debout avec peu de déplacements. Les mouvements restent en effet dans un espace assez limité comme celui d'un cercueil. Il n'y a pas de changement de décors. Seul, à un moment, un événement théâtral fait que le décor évolue par le biais d'une bascule physique, mettant à terre à dessein les deux murs latéraux, réduisant les dernières scènes à un espace de jeu des plus restreints.

C'est avant tout un récit porté par sa narratrice, Violette Trenet-Toussaint, protagoniste principale, qui bascule entre narration et action. Elle est ainsi la seule qui ait un rapport direct avec le public. Dans ce va-et-vient, les caractères deviennent ceux d'un roman découlant d'une posture descriptive orale ou photographique avant d'entrer sur scène. On les aperçoit avant même de savoir qui ils sont. Les personnages adviennent par leur physique avant même que parole ne soit dite, sauf pour Violette Toussaint. Dans cette découpe, le corps devient ainsi l'élément annonciateur des protagonistes.

© Fabienne Rappeneau.
© Fabienne Rappeneau.
La mise en scène est simple, manquant un peu de relief toutefois. Le texte est bien écrit et porte le jeu qui est parfois un peu trop nerveux chez les personnages masculins, dans leur colère respective incarnée un peu rudement comme d'une seule couleur. À l'opposé, le jeu de Violette est toujours calme avec peu de ruptures de jeu.

Narration et dialogues s'entremêlant, la trame est bien ficelée et le personnage de Violette Trenet-Toussaint se déploie sur ces deux axes dramaturgiques, donnant à la pièce le parfum d'une histoire racontée. Son nom semble marqué par la fatalité et par un amour de Trenet. Elle en est fan. Quelques-unes des compositions du chanteur français accompagnent la représentation, chantonnées parfois par Violette. La pièce se savoure simplement. Les choses vont à l'essentiel, le fil de l'histoire est aussi simple que sujet à quelques détours dramaturgiques de très bonnes compositions.

"Changer l'eau des fleurs"

© Fabienne Rappeneau.
© Fabienne Rappeneau.
D'après le roman de Valérie Perrin.
Adaptation : Caroline Rochefort et Mikaël Chirinian.
Mise en scène : Salomé Lelouch et Mikaël Chirinian.
Assistante mise en scène : Jessica Berthe.
Avec : Caroline Rochefort et, en alternance, Morgan Perez ou Mikaël Chirinian, Frédéric Chevaux ou Jean-Paul Bezzina.
Avec les voix de : Céline Monsarrat et Thibault de Montalembert.
Scénographie : Delphine Brouard.
Création sonore et musicale : Pierre-Antoine Durand.
Création lumières : François Leneveu.
Vidéo : Mathias Delfau.
Régie générale : Nathan Sebbagh.
Durée : 1 h 10.

Du 17 août au 17 septembre 2023.
Du jeudi au samedi à 19 h, dimanche à 15 h.
Théâtre de la Renaissance, Paris 10e, 01 42 08 18 50.
>> theatredelarenaissance.com

Safidin Alouache
Lundi 28 Août 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024