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Concerts

Un superbe Requiem de Fauré aux Rencontres Musicales de Vézelay

Du 23 au 26 août 2018, la Colline éternelle de Vézelay et ses environs offrent à nouveau leur remarquable théâtre pour la 19e édition des Rencontres Musicales de Vézelay. Parmi tant de pépites au sein de la programmation, la recréation du "Requiem" de Fauré a constitué un moment unique grâce aux talents conjugués de l'Ensemble Aedes et de l'orchestre Les Siècles dirigés par Mathieu Romano.



© François Zuidberg.
© François Zuidberg.
Ces Rencontres Musicales (sous l'égide de François Delagoutte, nouveau directeur de la Cité de la Voix, sise à Vézelay et organisatrice de l'événement) proposent quatre jours émaillés de nombreux rendez-vous (gratuits pour certains parmi les quatre à neuf événements programmés suivant les journées) et un vaste répertoire pour des concerts à géométrie variable : des chansons anglaises de la Guerre de Cent ans (par l'Ensemble Céladon) aux Beatles (par les Brünettes), en passant par la Messe de Cavalli (donnée par le chœur Arsys Bourgogne), "La Résurrection et l'Ascension de Jésus", un oratorio de Carl Philipp Emanuel Bach (par les Arsys et l'Orchestra Pulcinella)… et les chansons patrimoniales (ou pas) françaises, déjantées ou égrillardes interprétées par l'ensemble Les Lunaisiens - entre autres.

En résidence dans cette belle région Bourgogne - Franche-Comté, l'Ensemble Aedes (un des chœurs français les plus respectés actuellement fondé en 2005 par Mathieu Romano), auquel des musiciens des Siècles ont prêté leurs forces, a littéralement recréé la version de 1893 du Requiem de Gabriel Fauré. Une version chambriste (pour petit orchestre et chœur) dont la conception remonte à l'année 1887 mais dont l'écriture s'étale jusqu'en 1893 (date de son exécution après un énième remaniement de l'orchestration, une version dirigée alors par Fauré en l'église de la Madeleine à Paris).

Puis il faut attendre 1900 pour la création de la version symphonique de l'œuvre (peut-être due à l'élève de Fauré, Roger-Ducasse). Cette version de 1893 pour une vingtaine d'instruments (sans violon ni bois) est rarement donnée ; on peut donc parler ici d'une véritable recréation. Mathieu Romano a d'ailleurs tenu à se plonger dans cette partition sans préjugés, sans vouloir s'encombrer outre mesure des traditions interprétatives.

© François Zuidberg.
© François Zuidberg.
Et le jeune chef livre une version à hauteur d'homme, bouleversante, dépouillée de toute afféterie entendue parfois ailleurs du chef-d'œuvre du compositeur français (qui fut, on s'en souvient, le professeur de Ravel). Son Requiem offre un voyage raffiné, spirituel au haut sens du terme mais traversé des angoisses humaines. Mathieu Romano cisèle les rehauts d'une partition aux détails délicats et aux atmosphères contrastées. L'Introït sublime aux accents graves emporte l'auditeur dans les entrelacs d'un tissu orchestral et vocal d'une suavité, d'une finesse et d'une beauté incroyables, pour ne plus le lâcher jusqu'au "In Paradisum" final (un ajout de Fauré à l'office qu'il a remanié à son goût).

On se délecte de la magie des timbres, du sens du mot des chanteurs et de ces dialogues du peuple des fidèles avec l'ange fait femme de la soprano Agathe Boudet (aux aigus stratosphériques dans le "Pie Jesu") et avec le pêcheur, prisonnier de son doute métaphysique (le beau baryton Jérémie Delvert). Clarté, homogénéité, entrées parfaitement placées à unique, double ou quatre voix, tout concourt à donner la certitude qu'il s'agit là d'une exécution idéale - qu'on n'est pas prêt d'oublier.

L'écriture instrumentale, au nuancier envoûtant, permet au cor, à l'alto des interventions qui serrent le cœur en de superbes solos (le "Hostias", le "Sanctus"). En première partie du spectacle, a cappella, l'Ensemble Aedes a brillé également dans un dispositif ingénieusement spatialisé, d'abord dans les "Litanies à la Vierge noire", puis dans les "Quatre petites prières de saint François d'Assise", et la Messe en sol majeur de Francis Poulenc.

Le chœur a enrichi sa palette avant l'entracte avec les "Trois chansons de Charles d'Orléans" de Claude Debussy. Dans ces derniers chants, le chœur a fait partager au public le plaisir sensuel du compositeur, travaillant sur ces vers médiévaux - sans lui, à la saveur perdue ("Hiver, vous n'êtes qu'un villain !"). Le concert s'est terminé naturellement sur un impeccable bis consacré au "Cantique de Jean Racine" de Fauré.

Sur le site du festival, il faut consulter le blog inventif maison qui offre de nombreux reportages et enregistrements passionnants des concerts et des artistes invités, en attendant les vingt ans du festival l'an prochain.

Du 23 au 26 août 2018.
Rencontres Musicales de Vézelay.
Vézelay (Yonne), Région Bourgogne - Franche-Comté.
Tél. : 03 86 94 84 40.
>> rencontresmusicalesdevezelay.com

Christine Ducq
Lundi 27 Août 2018

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Concerts | Lyrique







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"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
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Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
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© Delphine Royer.
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Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
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"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
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"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

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Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

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