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Théâtre

Un monologue où Marie-Christine Danède démontre une capacité rare à rendre palpable l'imaginaire

"L'art de Suzanne Brut", Les Déchargeurs, Paris

Certains spectacles tiennent essentiellement aux interprètes qui les font exister, c'est un peu le cas de "L'art de Suzanne Brut". Mais pas seulement. Un texte bien tenu, une mise en scène rythmée et une double thématique donnent aussi à cette pièce une pertinence large et espiègle tout en rendant hommage à un style pictural révélé par Dubuffet : l'Art Brut.



© Christophe Lidon.
© Christophe Lidon.
Parlons d'abord de Marie-Christine Danède. Elle interprète dans ce rôle une rescapée. Quasiment une naufragée de la vie. Une femme du peuple, délaissée enfant par sa mère, abandonnée dans un couvent, utilisée comme bonne à tout faire, considérée comme folle-dingue par les sœurs, tout cela début des années quarante, en pleine occupation. Un caractère trempé dans l'argile, la glaise et le patois que la comédienne investit avec une vérité impressionnante dans toutes les qualités du personnage.

Elle est une femme simple, nature, sans malice comme on dit, mais elle est surtout mutique avec les tout le monde, en particulier avec les sœurs du couvent. Mutique avec les autres, mais en constant dialogue intérieur. C'est cette profusion de mots et de pensées que met au grand jour l'auteur Michael Stampe. Suzanne Brut s'exprime, ne cesse de s'exprimer, de dialoguer avec elle-même mais surtout avec Sainte Jeanne, la Vierge Marie, ainsi qu'avec quelques apparitions dont sa sœur morte il y a longtemps.

© Christophe Lidon.
© Christophe Lidon.
Mais la particularité, le secret de Suzanne, c'est qu'elle peint. Elle peint en cachette, la nuit, sur des planches récupérées à droite à gauche, avec des peintures elles aussi récupérées et des teintes, des matières qu'elle fabrique elle-même avec des plantes, des insectes et tous les matériaux qui lui semblent convenir. Sans avoir aucune formation, elle réalise ainsi ce que Dubuffet avait révélé en 1945 : l'Art Brut.

Art des fous, des marginaux, des reclus, des mystiques, des révoltés de toutes sortes, auquel ce spectacle est un hommage. Loin des modes, des critères académiques, des canons esthétiques mais toujours inventives, personnelles et puissantes, ces œuvres sortent par essence de l'ordinaire. Elles utilisent des matières nouvelles, collages, incrustations… tordent les perspectives ou les écrasent… elles sont le fruit de visions souvent extrêmes et populaires. En cela, elles sont riches, originales.

Juchée sur une plate-forme ronde où sont projetées des images illustrant son récit, Marie-Christine Danède est Suzanne, avec un naturel apparent qui dénote un travail d'interprétation extrêmement précis, travail dirigé par Christophe Lidon. Et c'est avec l'impression d'avoir levé le voile sur un personnage resté secret pour le monde entier que l'on repart, l'art soudain rendu à la nécessité de son expression. Oui, l'art appartient à tous ceux qui le font.

"L'art de Suzanne Brut"

© Christophe Lidon.
© Christophe Lidon.
Texte : Michael Stampe.
Mise en scène : Christophe Lidon.
Avec : Marie-Christine Danède.
Lumières : Marie-Hélène Pinon.
Musique : Cyril Giroux.
Images : Léonard.
Costumes : Chouchane Abello Tcherpachian.
Durée 1 h 15.

Du 31 octobre au 23 décembre 2017.
Théâtre Les Déchargeurs, Salle Vicky Messica, Paris 1er, 01 42 36 00 50
Du mardi au samedi à 19 h 30 .
>> lesdechargeurs.fr

Bruno Fougniès
Mercredi 8 Novembre 2017

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