La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Un esprit de troupe avérée et la passion de l'alexandrin

"Le Cid", Théâtre le Ranelagh, Paris

Dans une forme de récidive, car coutumier du fait, la Cie Le Grenier de Babouchka représente un classique en Alexandrin, le bien nommé "Cid", au Théâtre le Ranelagh dans une mise en scène de Jean-Philippe Daguerre et dans une manière de troupe devenue rare dans le privé avec une dizaine de comédiens et deux musiciens sur scène. Et, chose plaisante, la réussite est au rendez-vous.



© Jérémy Circus.
© Jérémy Circus.
Depuis quelques années, Jean-Philippe Daguerre et sa compagnie décortiquent avec talent et enthousiasme, mais sans brusquerie aucune, les grands classiques (en alexandrin ou pas) du répertoire français. Les récents succès de "Cyrano de Bergerac" (toujours à l'affiche du même Ranelagh) et du "Bourgeois gentilhomme" (au Théâtre Michel, lieu de résidence de la compagnie) ont mis en évidence cette capacité particulière qu'ils ont à donner à ces pièces une cure de jouvence sans en dénaturer le texte et son écriture codifiée, et sans en déplacer l'intrigue dans des temps plus contemporains.

Dans le cas où vos souvenirs estudiantins vous feraient défaut, en voici brièvement l'intrigue. Chimène et Rodrigue s'aiment d'un amour fougueux aux accents sévillans. Mais quelques circonstances taquines, du genre "empêcheuses de tourner en rond", vont quelque peu diviser leurs familles respectives. Fort heureusement, s'agissant d'une tragi-comédie et l'happy end ayant déjà été inventé, nos amoureux pourront au final de l'acte V convolé en justes noces.

© Jérémy Circus.
© Jérémy Circus.
L'affaire pourrait sembler banale et d'une dramaturgie somme toute traditionnelle. Mais c'est là qu'intervient tout le talent de Jean-Philippe Daguerre et la concrétisation de son amour pour les vers en Alexandrin. Avec la ferveur ludique du compétiteur face à l'adversité, il fait de l'exercice un jeu et communique à ses comédiens la passion de cette musicalité si particulière de la versification.

La fougue est là, le verbe fuse et le phrasé est virtuose, enlevé et rythmé. Dans une diction flirtant avec l'excellence, même dans l'élocution chaotique du roi, à la tentative burlesque réussie, les tirades et dialogues en vers sont une réelle et douce friandise pour l'oreille. Douceurs associées, les mélodies hispanisantes de Petr Ruzicka accompagnent, dans leurs émotions les plus intimes comme dans leurs plus extravagants ou colériques discours et assauts, les protagonistes. Celles-ci sont exécutées sur scène par le compositeur lui-même au violon et Antonio Matias à la guitare.

© Jérémy Circus.
© Jérémy Circus.
Tout cela est complété, pour la gourmandise de l’œil, par de magnifiques échanges à l'épée chorégraphiés (par Christophe Mie, ex-membre de l'équipe de France) comme des envolées lyriques, des ballets langoureux à l'érotisme suggérée… espérée par nos deux héros. Tout prend à ce moment précis une dimension aérienne, légère et gracile, en opposition aux duels à la violence sportive mais tout aussi bien composés, dans une aisance inattendue et spectaculaire.

L'art de donner un souffle nouveau à un classique est de ceux difficiles qui exigent une aptitude particulière à la relecture imaginative, tout en étant doté d'une volonté de compréhension du texte, respectueuse mais impertinente, et de la faculté à la créativité un brin insolente. C'est ce vent frais et revigorant qu'insuffle Jean-Philippe Daguerre en mettant en scène "Le Cid". Au final, un cocktail jouissif et lumineux composé de joyeuse folie associée à une vivacité pleine de fraîcheur, initié par une distribution de très grande qualité offrant leur impétuosité dans un bonheur théâtral communicatif. Prescription conseillée à l'adolescence, à consommer sans modération !

"Le Cid"

© Jérémy Circus.
© Jérémy Circus.
Texte : Pierre Corneille.
Mise en scène : Jean-Philippe Daguerre.
Assistant mise en scène : Nicolas Le Guyader.
Avec : Manon Gilbert, Kamel Isker ou Thibault Pinson, Charlotte Matzneff ou Flore Vannier-Moreau, Alexandre Bonstein ou Didier Lafaye, Stéphane Dauch, Edouard Rouland ou Johann Dionnet, Christophe Mie, Sophie Raynaud, Yves Roux, Mona Thanaël ou Maïlis Jeunesse.
Musiciens : Petr Ruzicka et Antonio Matias.
Musique original : Petr Ruzicka.
Combats : Christophe Mie.
Costumes : Virginie Houdinière.
Décors : Frank Viscardi.
Durée : 1 h 40.
Cie Le Grenier de Babouchka.

Jusqu'au 15 janvier 2017.
Du mercredi au samedi à 20 h 45, samedi à 15 h et dimanche à 17 h.
Supplémentaire le lundi 9 janvier à 2 0h. Relâche : 24 et 25 décembre, 1er janvier.
Théâtre le Ranelagh, Paris 16e, 01 42 88 64 44.
>> theatre-ranelagh.com

Gil Chauveau
Vendredi 16 Décembre 2016

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

Balade équestre dans l'univers singulier de Bartabas… et de Zingaro, un théâtre pour les chevaux

Forte de quarante ans d'observation de la compagnie Zingaro, de ses évolutions et métamorphoses, ainsi que d'une écoute attentive des murmures émanant de la relation entre Bartabas et ses chevaux, Fabienne Pascaud nous offre une exploration aux confins de la création équestre pour découvrir les sources originelles et intimes de son art au cours de douze grands chapitres, chacun scrutant un aspect différent de la pensée créatrice de cet artiste visionnaire.

"Cette créature mi-homme mi-cheval surgit de nulle part et éructant tel un fou sur les pavés de la ville était peut-être un des ultimes avatars d'Antonin Artaud (1896-1948). Bartabas sortait des légendes et des songes. Et nous ramenait au royaume des légendes et des songes."

C'est en 1978, lors de son premier Festival d'Avignon, que Fabienne Pascaud découvre Bartabas. Pour ce dernier, c'est l'époque "Cirque Aligre", après le Théâtre Emporté et avant Zingaro. Surnommé Bartabas le Furieux, il véhicule déjà une certaine folie, à la fois créatrice et unique, et une grande curiosité. Sa créativité va très vite puiser son inspiration dans la richesse de l'ailleurs, dans les différents aspects du monde…

Et ses spectacles, au fil des années, deviennent des fééries troublantes, voire envoûtantes. C'est ce personnage original et inventif que Fabienne Pascaud nous raconte, nous donnant quelques clés pour mieux comprendre, mieux approcher les métamorphoses de la compagnie Zingaro et révéler ainsi le langage, les pensées fondatrices qui, dans l'imaginaire de Bartabas, écrivent les chorégraphies équines et les univers artistiques qui s'en dégagent.

Gil Chauveau
17/12/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024