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Théâtre

"T. I. N. A." Un cocktail d'humour explosif qu'on boit jusqu'à l'ivresse

Un titre énigmatique pour un spectacle hors normes construit comme un fantastique mécano où s'assemblent les éléments épars de l'humour, de la volonté de réveiller les consciences et d'un discours politique et social d'autant plus intense qu'il n'impose rien. Tout cela grâce à un subterfuge de mise en scène des plus efficaces : l'art du clown venu intercéder pour nous raconter notre histoire et nous ouvrir les yeux et le cœur, comme un émissaire lointain venu témoigner notre réalité avec une lucidité décapante.



© Marie Charbonnier.
© Marie Charbonnier.
Tout est dans l'instant suspendu où le sourire du clown se fige sous ses yeux qui vous fixent. Cet instant donne le frisson, un peu comme si le masque blanc s'effaçait d'un coup pour laisser voir un abîme périlleux. Un clown, ce n'est pas un clown fait uniquement pour le rire. Celui-ci porte tous les stigmates de la réalité sous sa face hilare et une profonde tristesse égale sa profonde lucidité lorsque son regard se porte sur les humains, et sur la vie en général.

C'est inquiétant, ce clown qui diffuse tour à tour du rire et de l'angoisse. C'est chaleureux puis tout à coup glacé. Et on voit bien que ça n'a peur de rien : ni des mots, ni des cris, ni des silences, ni des regards, il nous fixe parfois à faire peur.

Inquiétant aussi car son visage est très mal passé au blanc. Les lèvres à peine colorées. On voit très bien les traits de la comédienne Garance Legrou. Et on ne sait plus trop qui joue le personnage. Le clown blanc joue à Garance Legrou ou le contraire ?

© Marie Charbonnier.
© Marie Charbonnier.
Et puis sur le plateau, on cherche en vain son contrepoint, son acolyte, Auguste, le clown potache est naïf qui fait rire les enfants avec ses facéties de gamin. Non, il est tout seul ce clown blanc avec son habit impeccable, son pantalon bouffant, son plastron plat, sa collerette immaculée. Pas trace d'Auguste, ses habits trop grands, sa perruque multicolore, ses tatanes démesurées et son nez rouge, largement ridicule, outrancier et naïf. Naïf a un point ! Non, il n'y a que nous, public, face à ce clown blanc sympathique et inquiétant. Alors c'est nous, le public, qui sera l'Auguste du spectacle. Celui qui rit tout le temps puisqu'un rire agrandit sa bouche, celui à qui on fait croire n'importe quoi et dont on botte les fesses impunément.

Rien de méchant là-dedans. Garance Legrou nous invite juste à être du spectacle, à le faire avec elle, à participer en quelque sorte, activement, comme il serait bon de participer activement à la vie sociale et politique. Et cela commence comme cela, comme un tâtonnement, une errance vers "on ne sait quoi" et l'illusion est belle, et chaque instant se clôt et ouvre sur un autre instant, inattendu. Partie de rien, d'un plateau nu, elle nous entraîne dans une ballade au travers du monde sur un demi-siècle, le demi-siècle de sa vie, une ballade qui est plus un trekking qui traverse toute la vie sociale et politique de cette période, depuis les paysages tragi-comiques des souvenirs d'adolescence jusqu'aux vertigineuses pentes abyssales du néolinéralisme en passant par une escapade dans l'art moderne vu à travers une nappe en toile cirée et un medley hilarant de la chanson populaire.

© Marie Charbonnier.
© Marie Charbonnier.
Mais ces dizaines de zigzags entre les souvenirs, aussi drôles, décalés, déstabilisants qu'ils soient, ne sont pas uniquement rire et distraction. La puissance du propos de T.I.N.A. tient à une juste colère, une profonde quête, une véritable angoisse face à la course effrénée de nos sociétés vers cette sorte d'inhumanité. Et cette soif politique qui teinte tout le spectacle est un cri touchant, émouvant, tragique, à la hauteur que sont les modèles libres-penseurs de Garance Legrou : Pierre Desproges, Romain Gary, Gotlib, Franquin.

"T. I. N. A. (There Is No Alternative)"

© Marie Charbonnier.
© Marie Charbonnier.
Texte : Garance Legrou.
Avec : Garance Legrou.
Collaboration artistique : Alexandre Pavlata et Lucie Reinaudo.
Création lumière : Fabrice Peineau.
Création costume : Agathe Laemmel.
Création sonore : Judicaël Denecé.
Production Compagnie (ETC)*.
Coproduction Théâtre des Bains-Douches (Le Havre).
Durée 1 h 10.
À partir de 12 ans.

Du 8 octobre au 10 décembre 2022.
Les samedis à 21 h.
Théâtre La Flèche, Paris 11e, 01 40 09 70 40.
>> theatrelafleche.fr

Bruno Fougniès
Mercredi 16 Novembre 2022

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

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C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

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La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
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"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
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Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023