La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Si la connerie m'était contée... ou hommage en forme de cabaret à Jean Yanne

"On n'arrête pas la connerie", Petit Montparnasse, Paris

Jean Yanne, iconoclaste et anticonformiste notoire, dès les années cinquante, au cabaret puis à la télé, n'a jamais cessé de la fustiger. Dans une mise en scène fleurant bon le music-hall, Jean-François Vinciguerra, Éric Laugérias et Johan Farjot ont sélectionné quelques perles dans le répertoire de notre regretté amuseur impertinent et décapant et nous offre un cabaret insolent aux vertus décrassantes...



© Jeep Stey.
© Jeep Stey.
Acteur, auteur, réalisateur, producteur et compositeur, provocateur et visionnaire, il révéla, au fil de ses sketches, de ses films et de ses chansons, un anticonformisme à la générosité corrosive et à l'ironie grinçante mais aussi empli de pudeur, de poésie... et souvent d'une réelle humanité. Mais malgré cette dernière, il bâtira son humour sur un cynisme grave et désespéré, optant pour une liberté inconditionnelle et refusant toute concession.

Tel un bouffon sans dieux ni maître, il crachera dans les bénitiers, se mettra les légionnaires à dos bien avant Gainsbourg (avec une version salé de "Ah ça ira, ça ira"), insultera les forces de l'ordre à la télé (avec son complice de l'époque : Jacques Martin), vomira la société de consommation... et la civilisation de l'automobile (avec "l’Apocalypse est pour demain", un pamphlet fiction publié en 1977).

Dans le style cabaret, mais en version caustique et impertinente, Jean-François Vinciguerra, Éric Laugérias et Johan Farjot (au piano) enchaînent une sélection de textes du maître de l'humour satirique, entrecoupée de mini-pubs (que l'on appelait alors "réclames").

© Jeep Stey.
© Jeep Stey.
Ces dernières, tirées principalement de "Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil", apparaissent dans un vieux téléviseur avec trucage façon "Jean-Christophe Averty" et avec la participation de quelques voix amicales. On retrouve, entre-autres, les célèbres "Pour supprimer les mauvais rhumes, utilisez RhinoMissel, le livre de messe traité à l'eucalyptus et aux bourgeons de pin naturel... Mon rhume est fini, je rend grâce au ciel, merci RhinoMissel !" (voix de Laurent Ruquier) et "M. l'abbé, pour raviver la couleur de votre soutane... utilisez SoutaNeuf... SoutaNeuf, le régénérateur de soutanes... SoutaNeuf, la résurrection de la soutane !" (voix de Pierre Bellemare).

Pour rendre hommage à la verve inventive de Jean Yanne, le Trio a composé un cocktail au vitriol qui, à travers des textes ayant souvent plus de quarante ou cinquante ans, met en exergue les travers et la connerie (intacte !) de notre époque. Ainsi les pics incendiaires que celui-ci lançait à travers ses films ou ses sketches télévisuels, touchant la religion, l'administration, les flics, le pouvoir, la politique ou la société de consommation sont pour la plupart toujours d'actualité.

Et là... on se dit qu'aujourd'hui, où l'insolence et l'irrévérence en matière d'humour s'arrêtent là où commence le "politiquement correct" (c'est à dire pas très loin !), celui qui déclara avoir "la faculté d'assimiler la connerie ambiante comme les abeilles butinent les fleurs et prennent le pollen pour en faire leur miel" aurait beaucoup de mal à lâcher ses très nombreuses diatribes et autres férocités sur la crétinerie et ses territoires environnants... Tout comme d'ailleurs un Coluche ou un Desproges !

La mise en scène de cet hommage réussi - que l'on doit à Jean-François Vinciguerra, par ailleurs comédien et baryton basse - est fluide et bien rythmée, dans le total respect de la formule " music-hall. Et nos trois larrons interprètent avec une gourmandise non dissimulée les textes de Jean Yanne.

"On n'arrête pas la connerie" est pour cela un spectacle salutaire qui nous remémore le génie de celui qui traita en avant-gardiste de sujets malheureusement toujours à l'ordre du jour comme le chômage des cadres (avec "L'ingénieur porte-savon") ou la reconnaissance de l'homosexualité (avec "Mon cher Albert")... C'est un rafraîchissant cocktail qui nous redonne des bouffées d'air impures et nous rappelle la toujours récurrente présence de la connerie ambiante.

"On n'arrête pas la connerie"

© Jeep Stey.
© Jeep Stey.
Textes (sketches et chansons) : Jean Yanne.
Mise en scène : Jean-François Vinciguerra.
Avec : Jean-François Vinciguerra, Éric Laugérias et Johan Farjot (au piano).
En alternance avec : Frédéric Longbois, Isabelle Fleur et Bruno Membrey (au piano).
Et les voix amicales de : Marie Drucker, Myriam Feune de Colombi, Chantal Ladesou, Eve Ruggieri, Pierre Bellemare, François Berléand, Laurent Ruquier.
Décor : Dominique Pichou.
Costumes : Michel Dussarat.
Lumières : Geneviève Soubirou.
Vidéo : Jules Vincent.
Son : Michel Winogradoff.

Du 12 juin au 30 août 2014.
Du mardi au samedi à 20 h, matinée samedi à 17 h.
Prolongations jusqu'à fin septembre 2014.
Les dimanches et lundis à 20 h.
Petit Montparnasse, Paris 14e, 01 43 22 77 74.
>> theatremontparnasse.com/

Gil Chauveau
Jeudi 4 Septembre 2014

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024