La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Rendez-vous"... Se créer de nouveaux souvenirs et imaginer une vie à venir

"Rendez-vous", Alhambra Théâtre Music-hall, Paris

Aborder la perte de mémoire - qui plus est dans un milieu artistique où celle-ci est un instrument de travail - et la maladie qui en est souvent, de nos jours, la responsable, cela n'est ni évident ni habituel. La délicatesse, la subtile dose d'humour et de dérision du texte de Bruno Fougniès et la mise en scène inventive de Rubia Matignon, en désamorcent tous les écueils prévisibles et donne à voir une pièce pleine de vivacité, nourrie de belles pointes d'insolence.



© Aurore Sopa.
© Aurore Sopa.
Deux lettres aux contenus identiques, deux femmes, deux invitations à des retrouvailles, un rendez-vous inattendu pour deux ex-partenaires, ex-amantes, ex-artistes. En imprévu, un état des lieux des ambitions passées et des rivalités rancunières, échangées sur une partition de répliques pas toujours bienveillantes, souvent salées, voire épicées.

Rendez-vous chez lui… mais lui se révèle absent !
Elles s'installent, le thé a été préparé. L'une, Nymphe, est devenu toiletteuse pour chiens, l'autre, Pussy, est une chanteuse sans succès, gestionnaire de karaoké.

L'absent apparaît, répondant au très latin prénom d'Armando, vite émoustillé par la présence des deux belles mais ne les reconnaissant pas. Perte de mémoire… volontaire ou altérative ? La suite donne la réponse, celle d'une maladie, Alzheimer, évoluant lentement mais inexorablement.

© Pierre François.
© Pierre François.
De là, la donne change, les querelles féminines s'estompent pour tenter, dans une forme de lutte empathique, d'ouvrir la malle aux souvenirs, ceux des passions amoureuses et artistiques vécues vingt ans plus tôt. Et reconstruire ce qui les unissait tous les trois… le music-hall, un show dans un cabaret des années soixante-dix !

De cette réédification surgissent les chansons du passé, les espoirs oubliés, les aspirations délaissées. Et pourquoi ne pas renaître au présent sur les promesses abandonnées. Se crée alors une nouvelle vie, un spectacle pour redonner à Armando la conscience de son âme de saltimbanque, de son existence d'artiste, même si ce ne sont que d'éphémères intermittences mais à la renaissance cyclique et récurrente.

Sont ainsi chantés quelques titres incontournables de la chanson française dont "Syracuse" (Bernard Dimey/Henri Salvador), "Les petites femmes de Pigalle" (Serge Lama/Jacques Datin), "Déshabillez-moi" (Robert Niel/Gabrielle Vervaecke), "Mon truc en plume" (Bernard Dimey/Jean Constantin) ou du répertoire américain comme "New York, New York" (Fred Ebb/John Kander) ou "Hello, Dolly !" (Michael Stewart/Jerry Herman).

Cette alliance du musical et du théâtral - l'essence même du music-hall - est incontestablement l'une des forces de ce spectacle, permettant d'aborder, d'explorer un sujet grave par le biais de refrains célèbres, d'espièglerie et d'une bonne dose d'impertinence… le tout avec une bienveillance exempte de pathos déplacé.

© Aurore Sopa.
© Aurore Sopa.
Tant au niveau de l'écriture, de la mise en scène que de l'interprétation, la réussite est réelle, avec notamment une belle idée de boucle de théâtre dans le théâtre, et une astucieuse solution pour aider Armando à retrouver, à maintenir sa mémoire : "être sur scène pour faire ce qu'on sait le mieux faire… et repartir sur les routes, c'est toujours mieux que l'hôpital !".

"Rendez-vous" est un spectacle sensible et intelligent qui offre aussi un regard différend sur la maladie, prenant en compte le point de vue des proches, de l'entourage, avec - petit plus non négligeable - une capacité particulière à conduire le spectateur vers le rire, lui permettant de quitter ainsi ses peurs intimes parfois générées par ce type de "dégradation".

"Rendez-vous"

© Pierre François.
© Pierre François.
Théâtre musical.
Texte : Bruno Fougniès.
Mise en scène : Rubia Matignon.
Avec : Robert Aburbe, Lola Accardi, Catherine Toublanc.
Production : Les p'tits barlous, Jean-Claude Auclair.
Durée : 1 h 10.

Du 4 janvier au 1er mars 2018.
Prolongation du 8 mars au 26 avril 2018.
Jeudi à 19 h 30.
Alhambra Théâtre Music-Hall, Paris 10e, 01 40 20 40 25.
>> alhambra-paris.com

Gil Chauveau
Jeudi 11 Janvier 2018

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | À l'affiche ter


Brèves & Com


Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Hedwig and the Angry inch" Quand l'ingratitude de la vie œuvre en silence et brise les rêves et le talent pourtant si légitimes

La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023