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Cirque & Rue

"Qui som ?" Non plus "être ou ne pas être", mais recolorer la vie en explosant les disciplines…

Comme un ovni venu de quelque planète facétieuse, l'énergie fabuleuse de Baro d'evel, troupe franco-catalane, fait voler en éclats les cadres contraignants des disciplines, de la discipline ! Une cohorte d'artistes aux allures faussement sages, venus indifféremment du cirque, de la danse, de la musique, des arts plastiques et artisanaux pour former communauté artistique, conjuguent à l'envi leurs talents sur un plateau bientôt transfiguré par leur présence atypique. L'effet rendu par cette déferlante hybride est "plastiquement" impressionnant… Un peu moins peut-être le sont quelques passages parlés où des éléments de langage fleurent le trop-plein d'évidences humainement compatibles.



© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.
Accueillis par les comédiens postés droits comme un "i" dans les galeries peuplées de poteries artisanales menant aux gradins du Lycée Saint-Joseph, les spectateurs deviennent eux-mêmes figurants du spectacle… Ce qui se confirmera à la toute fin, lorsque le public sera invité à suivre les artistes dans la cour du Lycée. Là se conclura le spectacle par un concert gratuit improvisé, agrémenté, bonus, de la fabrication en direct de poteries artisanales (vendues un peu chero, l'art a un coût…).

En ouverture, deux musiciens, dont l'un muni d'un énorme tuba, franchiront à plusieurs mètres de hauteur l'encadrement d'une fenêtre pour, en équilibre sur une corniche étroite, donner "de la voix". Un de leurs complices, plus "terre à terre", lui, bousculera maladroitement (!) une poterie qui se brisera en bord de plateau, tentera de faire disparaître les morceaux, et se mettra en peine d'en fabriquer une autre en plaquant un pain d'argile sur un tour de potier. Numéro burlesque se prolongeant par des catastrophes en chaine commentées de manière décalée…

© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.
Suivra une musique discordante accompagnant les comédiens choristes, les pieds plantés dans une flaque d'eau blanchâtre. Le noir immaculé de leurs tenues bientôt sera souillé par les éclaboussures héritées de fabuleuses glissades et chutes les précipitant nez et ventre contre sol, bras écartés, pendant que la cheffe de chœur, imperturbable, fera résonner sa puissante et belle voix dans l'enceinte de la cour. Chorégraphie millimétrée d'une hécatombe annoncée prenant valeur d'un tableau de maître, "Le Radeau de la Méduse" version animée.

Plongée dans l'univers surréaliste offerte par la saynète suivante, découvrant des créatures "humaines" dont la tête a été remplacée par des poteries. Poteries bientôt trouées au niveau des yeux et maculées de sang, avant que, trinquant entre elles, un liquide noir ne s'écoule de l'emplacement de leur bouche. Cérémonie énigmatique résonnant comme un rituel de sorcellerie vaudou.

"Délire" haut en couleur présentant ainsi les multiples facettes d'une boule-miroir reflétant des images (à peine) déformées des humains dans tous leurs états… "Qui sommes-nous ?", questionnait le titre… Voici quelques (d)ébauches de réponses… complétées par d'autres tableaux tout autant décalés, au rang desquels on citera un chien traversant le plateau, une montagne se déplaçant, un plancher recouvert d'impressionnants monceaux de bouteilles plastiques roulant sous les pieds des protagonistes, etc. Un inventaire à la Prévert n'y suffirait pas pour évoquer les richesses de créativité "plastique" mises à l'œuvre.


© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.
Quand, au final, il s'agira de s'adresser à la foule pour dispenser un message de concorde générale en apprenant à aimer inconditionnellement les autres – "morale" du spectacle, en avait-il vraiment besoin ? – l'adhésion sera moins évidente. En effet, même si le ton se voudra raccord avec les superbes tableaux décalés précédents, l'esprit de sérieux dénotera. Cependant, à cette remarque près, on ne peut que se réjouir de ces superbes performances de haut vol, de nature à recolorer une époque morose.
◙ Yves Kafka

Vu le mardi 9 juillet 2024 dans la Cour du Lycée Saint-Joseph d'Avignon.

"Qui som ?"

© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.
France - Espagne (Catalogne) - Création 2024.
Conception et mise en scène : Camille Decourtye, Blaï Mateu Trias.
Collaboration à la mise en scène : Maria Muñoz, Pep Ramis (Mal Pelo).
Collaboration à la dramaturgie : Barbara Métais-Chastanier.
Avec : Lucia Bocanegra, Noëmie Bouissou, Camille Decourtye, Miguel Fiol, Dimitri Jourde, Chen-Wei Lee, Rita Mateu Trias en alternance avec Amir Ziegler, Yolanda Sey, Julian Sicard, Marti Soler, Maria Carolina Vieira, Guillermo Weickert, Blaï Mateu Trias.
Collaboration musicale : Pierre-François Dufour.
Scénographie et costumes : Lluc Castells.
Lumière : María de la Cámara, Gabriel Paré.
Son : Fanny Thollot.
Recherche des matières et des couleurs : Benoît Bonnemaison-Fitte "Bonnefrite".
Ingénieur percussions céramiques : Thomas Pachoud.
Céramiste : Sébastien De Groot.
Régie générale : Samuel Bodin, Romuald Simonneau.
Régie plateau : Mathieu Miorin.
Régie plateau céramiste : Benjamin Porcedda.
Régie son : Chloé Levoy.
Régie lumière : Enzo Giordana.
Habillage : Alba Viader.
Durée : 2 h 30.

© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.
Tournée
Du 24 janvier au 1ᵉʳ février 2025 : MC93 - Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny (93).
Du 18 au 22 février 2025 : La Comédie, Genève (Suisse).
Du 19 au 21 mars 2025 : Théâtre Dijon Bourgogne - CDN, Dijon (21).
27 et 28 mars 2025 : CDN de Normandie-Rouen, avec le Festival Spring, Rouen (76).
1ᵉʳ et 2 avril 2025 : Le Volcan - Scène nationale, avec le Festival Spring, Le Havre (76).
24 et 25 avril 2025 : Équinoxe - Scène nationale, Châteauroux (36).
Du 6 au 8 mai 2025 : Scène nationale du Sud-Aquitain, Anglet (64).
14 et 15 mai 2025 : Le Grand R - Scène nationale, La Roche-sur-Yon (85).
Du 4 au 11 juin 2025 : Théâtre Les Célestins, avec les Nuits de Fourvière et le Festival Utopistes, Lyon (69).
4 et 5 juillet 2025 : Centro Cultural de Belem, avec le Festival Almada, Lisbonne (Portugal).

© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.

Yves Kafka
Mardi 28 Janvier 2025

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"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
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Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

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Yves Kafka
30/08/2024