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Théâtre

"Pinocchio" Les aventures d'un pantin de bois en version féérie foraine, certes cruelle mais résolument jouissive

Il était une fois une bûche qu'un brave menuisier en désir d'enfant transforma en pantin de bois. Sauf qu'ici nous ne sommes pas dans le monde merveilleux et sirupeux de Disney et Pinocchio, puisque c'est de lui dont il s'agit, tue d'emblée et sans précaution le grillon moralisateur et perturbateur de conscience ; et se tire illico de chez son créateur pour voir si la vie de Patachon n'est pas ailleurs et pour se soustraire à ses devoirs d'écolier.



© Doisne Studio.
© Doisne Studio.
Après nous avoir surpris, régalé et enthousiasmé avec "Don Quichotte" en 2016 (créé au château de Grignan dans le cadre des Fêtes Nocturnes) et en 2018/2019 avec "Hamlet" (créé au Théâtre de Châtillon et ayant connu un grand succès au Off Avignon 2019), la Compagnie des Dramaticules et son directeur artistique, Jérémie Le Louët, sont de retour avec cette nouvelle création où un pantin de bois désobéissant rêve de devenir "un petit garçon comme il faut". Mais avant d'accéder à cet état de petit d'homme "sage", cette tête de bois égoïste et cruelle se confrontera avec une implacable constance à un monde impitoyable où toutes ses failles, ses frustrations, ses défauts, ses désirs fantasmés et ses rêves illusoires de liberté idéale seront mis à rude épreuve.

Pinocchio est une fable aventureuse qui est à la fois un condensé sombre réunissant tous les contes et leurs parcours d'initiation devant mener l'enfant à l'âge adulte et une synthèse de ceux-ci en y concentrant la complexité de leurs étonnantes noirceurs - souvent occultée dans certaines fables, et Disney n'a pas fait que du bien dans ce domaine, par quelques facilités fantasmagoriques -, une forme d'émanation d'énergie négative constructive, mais menant toujours à un final libérateur, comme l'acquisition d'une maturité obligatoire.

© Doisne Studio.
© Doisne Studio.
Dans sa mise en scène et dans son jeu (Jérémie Le Louët interprétant lui-même le personnage de Pinocchio), celui-ci associe avec beaucoup de subtilité et d'intelligence la noirceur du "héros" de Collodi, son impertinence, sa rébellion juvénile à l'enthousiasme jovial, à la détermination volontaire du quêteur parcourant son chemin initiatique. Devenir un véritable enfant est un lourd, long et pénible labeur. Jérémie excelle dans ce rôle confit d'impertinence où il jubile dans l'exécution de ses actes négatifs.

Le reste de la distribution n'est pas en reste puisque cinq acteurs prennent en charge la ribambelle de personnages présents au générique du roman de Collodi. Ceux-ci ont à leur disposition, pour assurer leurs travestissements, nombre de costumes variés, chamarrés ainsi que des accessoires tout aussi colorés et nourris d'imaginaire. Ils apportent énergie et dynamisme, vivacité et malice à chacun des rôles, avec un plaisir de jouer évident, communicatif, emportant à chaque instant l'adhésion de la salle, enfant ou adulte.

Jérémie Le Louët use de tous les artifices que lui offre la machinerie théâtrale, dans une forme foraine et colorée, une des marques de fabrique de son approche scénique, et de sa capacité adaptative aux multiples univers théâtraux en les signant toujours de ses propres représentations imaginaires bigarrées… Ici très bien accordé à l'imagerie "Pinocchio", collant aux souvenirs de notre enfance qui furent faits de jouets en bois, de livres s'ouvrant en décors fabuleux, de castelets où jaillissaient Guignol, Gnafron et autres marionnettes aux allures de commedia dell'arte.

© Doisne Studio.
© Doisne Studio.
Dans cette féérie foraine maîtrisée, l'action se déploie en une multitude de séquences imagées : mer, campagne, forêt, petit théâtre de marionnettes, ventre d'un squale, etc. Celles-ci se succèdent avec vélocité, dans une jubilation et une espièglerie permanentes. Jérémie et son équipe proposent un spectacle singulier et imaginatif avec une grande variété de techniques utilisées.

Placée sous le signe des arts forains, multicolores et richement dessinés, apparaissent devant nos yeux émerveillés de nombreux éléments scénographiques : décors sur roulettes en 2 D, toiles peintes, portants et malles de costumes à portée de main. Mais aussi en fond de scène un écran pour des projections vidéo (paysages, effets miroir). Tout est réalisé à vue mais sans trahir la magie de la représentation, grâce notamment à des transitions très rapides.

Jérémie Le Louët retrouve avec cette création ses thèmes de prédilection favoris que sont, la quête d'identité, la transgression, le rapport à la loi, le libre-arbitre, le désir, l'éducation formatée, nous offrant une nouvelle fois son art conceptuel de l'imaginaire, son insolence du rêveur épris de liberté et une expression théâtrale affranchie de tout formatage !

"Pinocchio"

Féérie d'après "Les Aventures de Pinocchio (Le avventure di Pinocchio)" écrit en 1881 par le journaliste et écrivain italien Carlo Collodi.
Adaptation et mise en scène : Jérémie Le Louët.
Avec : Pierre-Antoine Billon, Julien Buchy, Anthony Courret, Jonathan Frajenberg, Jérémie Le Louët, Dominique Massat.
Scénographie : Blandine Vieillot.
Costumes : Barbara Gassier, assistée de Noémie Reymond.
Stagiaire costumes : Marion Thomasson.
Vidéo : Jérémie Le Louët.
Lumière : Thomas Chrétien.
Son : Thomas Sanlaville.
Construction décor : Guéwen Maigner.
Factrice de marionnette : Manon Dublanc.
Regard extérieur : Noémie Guedj.
Régie : Thomas Chrétien et Théo Pombet.
Production La Compagnie des Dramaticules.
Durée : 1 h 25.
À partir de 8 ans.

Tournée
2 février 2024 : Théâtre André Malraux, Gagny (93).
16 février 2024 : Théâtre de Gascogne, Mont-de-Marsan (40).
22 février 2024 : Théâtre L'Hermine, Saint-Malo (35).
27 février 2024 : Moustier, Thorigny-sur-Marne (77).
1er et 2 mars 2024 : Théâtre Alexandre Dumas, Saint-Germain-en-Laye (78).
Du 10 au 12 mars 2024 : Centre des bords de Marne, Le Perreux-sur-Marne (94).

Gil Chauveau
Jeudi 1 Février 2024

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"Bienvenue Ailleurs" Faire sécession avec un monde à l'agonie pour tenter d'imaginer de nouveaux possibles

Sara a 16 ans… Une adolescente sur une planète bleue peuplée d’une humanité dont la grande majorité est sourde à entendre l’agonie annoncée, voire amorcée diront les plus lucides. Une ado sur le chemin de la prise de conscience et de la mutation, du passage du conflit générationnel… à l'écologie radicale. Aurélie Namur nous parle, dans "Bienvenue ailleurs", de rupture, de renversement, d'une jeunesse qui ne veut pas s'émanciper, mais rompre radicalement avec notre monde usé et dépassé… Le nouvel espoir d'une jeunesse inspirée ?

© PKL.
Sara a donc 16 ans lorsqu'elle découvre les images des incendies apocalyptiques qui embrasent l'Australie en 2020 (dont l'île Kangourou) qui blessent, brûlent, tuent kangourous et koalas. Images traumatiques qui vont déclencher les premiers regards critiques, les premières révoltes générées par les crimes humains sur l'environnement, sans évocation pour elle d'échelle de gravité, cela allant du rejet de solvant dans les rivières par Pimkie, de la pêche destructrice des bébés thons en passant de l'usage de terres rares (et les conséquences de leur extraction) dans les calculettes, les smartphones et bien d'autres actes criminels contre la planète et ses habitants non-humains.

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Gil Chauveau
10/12/2024
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© Pierre Gondard.
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© DR.
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Bruno Fougniès
13/12/2024