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Avignon 2025

•Off 2025• "Le monde selon Albert Einstein" Dire l'acceptation de la différence et l'importance du savoir et de la curiosité

Avec une renommée qui dépasse largement les domaines de la physique et des mathématiques, Albert Einstein occupe, dans l'imaginaire collectif, une place particulière où se trouvent rassemblées les notions d'intelligence, de savoir et de génie. Difficile alors d'imaginer que ce grand physicien théoricien – qui révolutionna certains aspects et certains systèmes de la pensée scientifique – fut aussi un enfant. C'est donc une rencontre inattendue avec ce dernier que nous proposent Brigitte Kernel et Sylvia Roux en nous faisant découvrir le monde selon Albert Einstein… "Pas facile d'être un génie à 10 ans."



© Cie Juste là 2024.
© Cie Juste là 2024.
Ce grand savant reconnu internationalement, fut, avant de le devenir, un môme malicieux et curieux que nous découvrons, sous la plume de Brigitte Kernel, à l'âge de 9-10 ans dans sa famille. Cette dernière (les parents, le grand-père, l'oncle Jacob), intelligemment mise en avant dans le récit, se révèle très vite d'une grande importance dans l'évolution de l'enfant, ainsi que la présence d'un animal de compagnie, en l'occurrence un chien nommé "Trouillard".

Très vite, Albert se montre différent, à la fois par ses problèmes d'expression liés à sa dyslexie et par sa curiosité insatiable pour les chiffres et les livres. Il aime la solitude, notamment parce qu'il est maltraité à l'école, moqué par le maître et ses camarades de classe du fait de sa manière de parler. En réalité, c'est un enfant surdoué et hyperactif qui aime déjà jongler avec les chiffres, taquiner les racines carrées et les hyperboles… mais qui ne réussit pas à s'exprimer, surtout à cause de ses idées qui se bousculent, vives comme l'éclair, allant trop vite dans sa tête, avec des mots qui arrivent dans le désordre. Difficile d'être doué dans un monde dans lequel on est considéré comme un autiste.

© Cie Juste là 2024.
© Cie Juste là 2024.
"On dit que je suis très intelligent, mais dès qu'il s'agit de m'exprimer devant quelqu'un, mes pensées jonglent et déboulent à toute vitesse. Mes mots se coincent dans ma gorge. C'est terrible de se sentir aussi idiot alors qu'on ne l'est pas… Heureusement que j'ai mon chien Trouillard à mes côtés, le seul à me comprendre…"*

Si la différence peut s'avérer handicapante, dans l'histoire proposée par Brigitte Kernel et Sylvia Roux, celle-ci va être acceptée et utilisée comme un avantage grâce à l'amour familial, à la bienveillance de l'oncle Jacob et du grand-père, entre autres, qui vont permettre à Albert de prendre confiance en lui, de développer son talent pour la physique et les mathématiques… et, surtout, d'entretenir son inassouvi besoin de connaissances.

"J'aimerais bien savoir expliquer mathématiquement les émotions, mais papa dit que ce n'est pas possible de faire des équations avec des sentiments. C'est compliqué, pour moi, les choses inexplicables. Je crois que je passerai toute ma vie à vouloir tout décortiquer pour en savoir plus, toujours plus."(2)

© Cie Juste là 2024.
© Cie Juste là 2024.
Ce récit sur l'enfance du prix Nobel de Physique permet, sans en avoir l'air, subtilement, avec délicatesse et humour, de mettre en évidence, de poser, les problématiques de la différence, du harcèlement à l'école, des codes du langage et de l'expression orale, de l'ouverture aux autres et de l'estime de soi. D'aborder également la notion de différence comme un avantage, une force motrice, un apport constructif à un ensemble existant, non comme un handicap.

Pour concrétiser cela et donner une impulsion particulière à cette histoire peu banale, Sylvia Roux use de tout son talent pour faire vivre tous les personnages de la pièce (plus d'une dizaine) en maîtrisant parfaitement les mimiques appropriées, comiques ou pas, notamment pour faire l'ami d'école du petit Albert. Passant avec fluidité, énergie et intensité d'un rôle à l'autre, elle interprète chacun avec une passion enjouée et parfois joyeusement effrontée, apportant particulièrement au personnage d'Einstein enfant des notes, des attitudes humoristiques.

En appui complémentaire, la mise en scène de Josiane Pinson donne une densité à l'ensemble, avec une utilisation dynamique du plateau que Sylvia investit pleinement, et la direction d'acteur (d'actrice devrais-je dire) fait montre d'une réelle complicité entre la comédienne et la metteuse en scène. Riche en trouvailles scéniques, on appréciera aussi les dessins se créant et apparaissant en direct (Thomas Deffarge au dessin et Léonard à la scénographie vidéo), via la vidéo projection sur l'un des deux tableaux noirs (d'école).

© Cie Juste là 2024.
© Cie Juste là 2024.
"Le monde selon Albert Einstein" peut être perçu, doit l'être à mon sens, comme un texte portant haut la tolérance, la capacité des différences à nous faire avancer et la nécessité de rester, toute sa vie, curieux et gourmand de connaissances et de savoir. Cela s'adresse aux jeunes bien sûr, mais d'une manière générale à toutes les générations, car il s'agit ici d'un message d'espoir.
◙ Gil Chauveau

Vu le 7 juillet 2024 dans le cadre du festival Off d'Avignon.

(1) et (2) Extraits de "Le monde selon Albert Einstein" de Brigitte Kernel (2021) chez Flammarion Jeunesse.

"Le monde selon Albert Einstein"

© Cie Juste là 2024.
© Cie Juste là 2024.
Texte : Brigitte Kernel et Sylvia Roux.
Adapté du roman "Le monde selon Albert Einstein" de Brigitte Kernel (aux Éditions Flammarion Jeunesse).
Metteuse en scène : Josiane Pinson.
Avec : Sylvia Roux.
Musique : Raphaël Sanchez.
Scénographe vidéo : Léonard.
Tout public de 7 à 97 ans.
Durée : 1 h 15.
Compagnie Juste Là.

•Avignon Off 2025•
Du 5 au 26 juillet 2025.
Tous les jours à 15 h 15. Relâche le lundi.
Théâtre 3S - Le Quatre, Salle 1, 4, rue Buffon, Avignon
Réservations : 04 90 88 27 33.
Courriel : 3saccueil@gmail.com
>> theatre3s.com

Gil Chauveau
Mardi 27 Mai 2025

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Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
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© Delphine Royer.
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Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
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© Philippe Hanula.
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N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
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Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

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30/08/2024